LOST FAIR.

La foire Internationale Rachid Karameh de Tripoli a été conçue en 1962 par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer sur un terrain de 70 hectares situé entre le centre historique de Tripoli et le port Al Mina. Le bâtiment principal de la foire est constitué d’une immense halle couverte en forme de boomerang de 750 mètres de longueur par 70 mètres de largeur  sous laquelle les différents pays peu- vent installer librement leurs espaces d’exposition. L’entrée du complexe de la foire prend naissance à l’extrémité sud du boomerang : une vaste rampe conduit à un portique surélevé d’où le visiteur découvre l’ensemble de la composition. Dans l’espace généré par la concavité de la courbe, une série de formes architecturales « mineures » forment contrepoints, reliées par des jardins et des plans d’eau : le « Musée du Liban » structure carrée entourée d’arcades pointues, le théâtre expérimental en forme de dôme, le « Musée de l’espace» avec son héliport, le pavillon des enfants, le réservoir d’eau surmonté d’un restaurant et  la Maison du directeur. Dans la partie nord, une rampe cérémoniale conduit à l’amphithéâtre de plein air, surmontée par une arche monumentale symbolisant le passage. Les différents bâtiments ont été édifiés de 1967 à 1975 mais la Foire n’a pas pu être mise en service à cause des événements qui ont ensanglanté le Liban à partir de 1975. Bien que seuls quelques bâtiments soient utilisés depuis les années 1990, la composition générale de la Foire est intacte et les formes des bâtiments apparaissent dans toute leur plasticité. Centrale dans son emplacement dans la ville, elle reste abandonnée et interdite d’accès. Le béton se désintègre et devient une menace pour la structure des édifices. Un terrain immense complètement dénué de sens et de logique, trop cher pour l’entretenir, trop cher pour le détruire, trop dangereux pour y accéder.

La place du corps humain s’est progressivement désengagé et aliéné du système dans lequel il se déploie. On assiste à l’émergence de nouvelles typologies d’espaces post-anthropocentriques, où le corps humain ne fait plus partie intégrante de l’architecture. L’évolution des lignes de production et des espaces industriels ont modifié ces environnements qui étaient autrefois habités par des humains. De nombreuses industries sont tombées en ruines et se sont transformées en friches, une fois devenues obsolètes. Certains endroits du monde sont abandonnés, comme la zone d’exclusion de Tchernobyl en Ukraine, ou la zone du désastre de Kyshtym en Russie, symbole d’un échec extrême d’une industrie de l’énergie. Ces zones représentent aujourd’hui une nouvelle typologie d’espaces appelée « zones d’exclusion humaine »(HEZ), dans lesquelles le corps humain est délibérément exclu et interdit d’accès. Une représentation figée dans le temps de ce que l’homme peut construire pour sa propre subsistance, et qui génère néanmoins une contamination immense qui réduit drastiquement la richesse humaine. Dans le livre de Rem Koolhaas, Countryside, the future 2020, basé sur le travail de 15 rapporteurs auxquels il a été demandé d’explorer et de décrire des conditions très spécifiques, aux quatre coins de la planète sur la condition des campagnes et de ses infrastructures industrielles, il observe qu’au cours des dix dernières années, l’articulation de la ville et du néolibéralisme semble avoir créé un mécanisme à générer et accentuer des inégalités. Ce malaise est renforcé par l’influence croissante des entreprises technologiques qui façonnent la condition urbaine et fixent la plupart de ses paramètres, tel que l’intégration d’éléments technologiques dans l’architecture, ce qui aboutit au modèle de la smart city comme apothéose de la culture urbaine. Rem Koolhaas conteste l’hypothèse selon laquelle l’urbanisation sans cesse croissante est inévitable, les recherches explorent les changements radicaux dans les territoires ruraux, éloignés et sauvages collectivement identifiés ici comme « countryside», ou les 98 % de la surface de la Terre qui sont inoccupés par les villes.

Photographies : © Cécile Braneyre

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