Le soleil s’apprête à disparaitre, les bus et les métros débordent tandis que les voitures et les scooters encombrent la circulation. Tout le monde se presse de rentrer chez soi et les tensions montent dans les embouteillages. C’est entre klaxons et jurons que commence la nuit marseillaise. Alors que l’obscurité imprègne progressivement le ciel, les phares des voitures, les réverbères, les enseignes puis les fenêtres s’allument les uns après les autres comme des signes de présence et d’activité qui se révèlent. Depuis mon balcon, je vois les barres d’immeubles comme un code portant en lui les tranches de vie d’une partie des habitants de la ville. Ici une personne lit à la lueur d’une lampe chaude. Là une fenêtre s’éclaire d’un bleu vivant, variant du noir au vif, on devine alors que la télé est allumée. À travers une autre fenêtre tout est éteint, les habitants ne sont peut- être pas encore rentrés chez eux. Chez les voisins d’en dessous, toute la famille semble réunie sous le lustre autour du repas. Le temps d’une nuit chaque fenêtre devient une palette de lumière qui s’illumine, change de teinte avant de s’éteindre pour se rallumer le lendemain. De loin, on y voit comme des constellations en perpétuel changement. Dans cette myriade d’étoiles, certaines filent et révèlent la ville en mouvement, la parcourent de leur trajectoire, de leur passage. Ce sont les automobiles, les vélos, les trottinettes, le flash de nos smartphones … D’autres proviennent des bureaux, des commerces, des bars, … comme les fenêtres décrites plus haut. Elles rythment la ville avant de s’éteindre au bout d’un moment, dans la nuit ou à l’arrivée du jour… Certains bâtiments, œuvres ou structures ressortent mis en valeur par la lumière, comme des points de repères dans le paysage. Puis, dans le reflet des lumières urbaines, on a ces réverbères figés, constants et omniprésents qui viennent couvrir le paysage. Orangées ou blanches, ce sont les grandes veilleuses urbaines… Après le diner, elles accompagneront les trajets de ceux qui vont travailler ou se divertir tandis que d’autres dorment. C’est très romantique une ville la nuit. Surtout quand on prend de la hauteur et du recul, que ce soit en arrivant par le col de la Gineste ou à la sortie du tunnel des Treize-Vents. Le paysage se savoure plus particulièrement aux Lettres, du côté de « la Bonne Mère » ou même sur le toit d’une clinique abandonnée. C’est sûr que de voir ces constellations artificielles, que les progrès de l’humanité ont générées… c’est magnifique. De ces paysages on se nourri, séduit par la myriade de points lumineux parsemée dans la ville. On contemple simplement, se laissant parfois attirer par des réflexions profondes sur nous-même ou notre société. C’est dans le calme et l’obscurité que mes pensées s’allègent et que je ressens une plénitude devant la vérité de mes émotions. Comme en retrait, et pourtant, faisant partie intégrante de la ville nocturne. C’est marrant, presque ironique, je suis là presque extrait de tout, les yeux plongés dans le lointain, à contempler les Hommes, mes voisins, mon espèce. À méditer sur ce que Nous sommes. Pourtant, lorsque je lève les yeux au ciel pour voir plus loin et m’évader ailleurs le temps d’un instant. Les destinations possibles semblent tellement restreintes. La lune continue sa course lente et une dizaine d’étoiles brillent encore difficilement. La voie lactée si tant est qu’elle soit encore visible ne devient qu’une espèce de nuage incompris. Pauvre nuit. Les Hommes ont souhaité rivaliser avec tes étoiles pour dorer leurs égos, conquérir ton espace et obtenir plus de temps face à ta venue. Je crains qu’ils aient réussi, mais il n’est pas trop tard. La ville s’est forgée un dôme artificiel contre nature, dont la pollution lumineuse n’est qu’une partie. L’avantage, c’est qu’il suffirait d’abaisser le levier et éteindre la ville pour y mettre fin. Mais ce serait bien trop radical ! Ne serait-il pas plus judicieux de repenser notre usage et notre rapport à la lumière afin d’imaginer une ville où l’obscurité fait partie intégrante du paysage, où les lumières urbaines viennent subtilement prolonger un ciel étoilé qui n’existe aujourd’hui que dans les zones les plus reculées ? La question pourrait se poser ainsi : Comment apprivoiser l’obscurité en ville ?

Photographies : © Cécile Braneyre

 

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