Jusqu’à présent, la mode reflète notre façon de vivre, nos habitudes et nos goûts. Aujourd’hui, elle cède la place à un vêtement adapté à un type d’activité, à une fonction sociale précise. Ce nouveau vêtement ne peut être présenté qu’en situation de travail et, hors de la vie réelle, il n’a rien d’une œuvre d’art ». Ce qui importe ici, c’est la facture, le traitement du matériau, la réalisation. Il ne suffit pas de proposer un projet de vêtement pratique et astucieux ; encore faut-il le réaliser et en faire la démonstration en situation, car c’est à ce moment seulement qu’on pourra le voir et s’en faire une idée précise. Inutile aujourd’hui de présenter des modèles sur des mannequins de cire ; ce sont là des anachronismes esthétiques. À présent, le vêtement doit être montré dans l’action. De même qu’une machine est difficilement concevable en dehors de la fonction qu’elle doit remplir, le vêtement ne peut exister en dehors de l’usage qu’on en a. « Un vêtement pratique et adapté à une fonction déterminée » — voilà un slogan qui réduit à néant tout caractère décoratif ou ornemental. Ceci implique que son usage soit unifié sur une grande échelle, et donc que la production cesse d’être artisanale pour devenir industrielle. Ainsi le vêtement perd sa valeur « idéologique pour devenir un élément de la culture matérielle. Il ne fait aucun doute que l’évolution du vêtement dépend étroitement de l’évolution industrielle et technique. Ce n’est qu’à notre époque qu’on a vu apparaître des vêtements de pilote, de chauffeur, des tabliers de protection, des chaussures de foot, des imperméables et des tuniques militaires. Pour réaliser un vêtement, il faut aller de l’objectif à la mise en forme matérielle, de la nature du travail auquel il est destiné au système de coupe. Il faut remplacer les éléments esthétiques par de la couture conçue comme processus de production. Je m’explique : on ne doit pas rajouter d’ornement ; ce qui donne sa forme au vêtement, ce sont les coutures indispensables à la coupe. Je dirais même plus, on doit montrer les points, les agrafes, etc. les mettre à nu comme dans une machine. Plus de coutures invisibles faites à la main, mais la ligne de piqûre de la machine ; voilà qui industrialise la confection et ôte au vêtement les mystères enchanteurs du travail du couturier. Sa forme, c’est-à-dire son aspect extérieur, n’est plus une forme arbitraire ; elle résulte des exigences de l’objectif initial et de la réalisation finale.

Le vêtement d’aujourd’hui, le “ prozodežda ”, est un vêtement de travail universel qui présente certaines variations en fonction de la profession de son utilisateur. Prenons par exemple un costume de mécanicien ; la coupe doit éviter tout risque d’accroc par la machine. Mais s’il est destiné à un typographe, à un mécanicien de locomotive, ou à un ouvrier métallurgiste, il présentera des particularités tant dans le choix du matériau que dans certains détails de coupe, en conservant toutefois son dessin général. De même, le vêtement d’un ingénieur-constructeur doit posséder de nombreuses poches ; selon les outils utilisés — un menuisier n’emploie pas les mêmes outils qu’un ouvrier du textile ou un constructeur d’avion — on fera varier la dimension, la forme et la disposition des poches. Il existe en outre un vêtement de production particulier, le “ specodezda ”, le vêtement de spécialiste, qui répond à des exigences encore plus précises. C’est le cas des costumes de pilote, d’ouvrier d’usine chimique, de pompier, d’explorateur polaire, etc.

Le vêtement de sport, le “ sporodežda ” répond, quant à lui, à toutes les exigences du “ prozodežda ” et il varie en fonction du sport pratiqué — football, ski, aviron, boxe ou gymnastique. Mais tout vêtement de sport doit obligatoirement comporter un système de signes, marques, emblèmes, forme ou couleur, qui permet de repérer les équipes. La couleur est ici très importante, car les compétitions et les manifestations sportives se déroulent généralement sur de vastes espaces et devant un public nombreux. Le spectateur doit pouvoir distinguer les adversaires à la coupe de leur vêtement ; quant aux compétiteurs, il leur est également plus facile de se reconnaître. La coupe d’un vêtement de sport doit répondre au critère fondamental suivant : vêtement minimum, facile à enfiler et à porter.

Dans ce numéro de LEF, nous présentons trois types de costumes de footballeurs : 1) un costume tricolore rouge, noir et gris, avec pour emblème sur la chemise une étoile rouge ; 2) un costume en tricot rouge uni présentant sur la chemise un grand signe — OT ; 3) un costume rayé bicolore rouge et blanc sans signe distinctif. La coupe est identique pour ces trois costumes qui sont composés d’une chemise sans manches et d’un short. Pour le costume des basketteuses, la coupe et la forme sont dictées par la couleur, par la ligne noire de l’empiècement sur la chemise et par la coupe de la jupe en forme de cloche… Ce qui prime ici, c’est la simplicité et la netteté des combinaisons de couleurs. Afin de favoriser la liberté des mouvements, la coupe a été volontairement simplifiée et ne présente aucun système d’agrafe.

Extrait de LEF n° 2, p. 5-7, 1923.

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