Corps réconforté, réchauffé apaisé dans mon petit peignoir rose fuchsia. Malgré l’effluve de café présente dans mes veines. Éviter de repenser à ce verre cristal brisé la veille, et ce pc Windows 10 refusant l’accès à ma session, précédemment couronné par ce verre de vin ayant sauté sur le clavier.
En attendant que la baignoire se remplisse, je prépare des petites tartines à l’avocat et aux sardines, saupoudrées de sel et de poivre, accompagnées d’un verre de bière chacun : je prends les gobelets à pastis en plastique bleu translucide de façon à éviter la casse, maladroite comme je suis.
Nous rentrons comme il faut/pile-poil/tout juste, dans la baignoire rose saumon d’un mètre et des poussières. Les hanches relevées à 45 degrés avec les genoux pliés à 90 degrés, nos jambes s’enchevêtrent (a) symétriquement le long des cuisses de l’autre. D’ailleurs, il est du côté de la baignoire où la surface est plus inclinée, pensée pour accueillir chaleureusement le dos de l’usager. Nous entamons notre petit apéritif et discutons. Relaxés, nous sommes plus que bien, même si un peu à l’étroit, le contact de nos membres, notre corps à corps semblait nous apaiser un peu plus. Rires et chahutements, il ne semble pas apprécier mes caresses au visage avec mes pieds. Hmmm… je n’ai certainement pas les mêmes pieds que ces James bond girls ou autres pin-up, tout simplement pas leur sensualité dévastatrice. Et pourtant les fétichistes des pieds sont bien là… ! Comme celui qui, sur la plage des Catalans, m’avait demandé à moi et mon amie s’il pouvait prendre une photo de nos pieds. Ayant vendu son affaire comme un projet artistique, j’ai accepté, ayant toujours un peu la tête ailleurs.
Après avoir pris plusieurs photos, quelque chose nous alerte : je ne sais plus vraiment si c’était la bave qui commençait à dégouliner sur son menton, ou ses yeux qui commençaient à vriller… je n’étais pas habituée à ce type de perversion… Un inconnu possède donc une photo de mon pied carré aux orteils grossiers sur fond de sable blanc et de mégots de cigarettes. Je pourrais rester dans cet état perplexe… après tout, c’est bien moi qui aie mis mon pied gauche en image de couverture sur la plate — forme bleue, celui-ci sortant maladroitement, presque naïvement de l’eau, disant bonjour (tout doux) à la corniche, une après — midi d’avril dans une eau à quinze degrés Celsius. (Premier bain de mer à Marseille.)
Je devrais certainement créer une série avec toutes ces photos de pieds que j’ai pu réaliser durant mes voyages, s’agissant certainement d’un geste, d’une trace qui tente de montrer ce lien sensible avec le milieu, et surtout affectif… quasiment enfantin, maternel, de l’enfant à la mère.
Retour dans la baignoire rose saumon dans laquelle nous jacassons et nous bécotons. Les carreaux de ma salle de bain sont carrés, d’un rose pâle et laiteux assorti à celui de la baignoire. Ambiance pourtant différente, je ne peux pas m’enlever cette photographie de la tête : moi, mon frère et ma sœur, prenant le bain dans notre maison à Urville, baignoire beige, carreaux de faïence gris beige rectangulaires avec des motifs de fleurs ou végétaux marron orangé, couleur rouille chère aux années 60-70 (comment était — ce possible, envisageable d’utiliser, d’AIMER ?! cette teinte appliquée de manière abusive dans les maisons et appartements de l’époque ?). Nos cheveux étaient vraiment en pétard, si ce n’est pour montrer que nous chahutions, jouions excessivement avec un peu de bagarre et de chamailleries de temps en temps.
L’heure royale — en position ex aequo (si ce n’est légèrement au-dessus) avec le quatre-heures dans la vie d’un gosse. Un rituel réveillé, revenu à la vie, avec quelques changements de décors, de personnages et de scénarios, l’eau chaude du bain constituant toujours le noyau central de ce plaisir ; l’ivresse procurée par la bière ce soir-là nous ouvre les pores de la peau, vapore nos paroles, attendrit nos caresses, et fait danser nos yeux pétillants.
Jury
- Tiphaine KAZI-TANI, présidente, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; designer et chercheuse associée au CodesignLab de Telecom Paris-Tech et à la Cité du design de Saint-Étienne, associée au commissariat de la Biennale du design de Saint-Étienne, responsable du DSRD à I’ESADSE.
- Mathieu PEYROULET-GHILINI, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; designer
- Delphine COINDET, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; artiste.
- Yannick VERNET, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; responsable des projets numériques à l’ENSP.
- Frédérique ENTRIALGO, théoricienne, docteur et enseignante à l’ESADMM.