Design Luminy terrace-houses-on-the-weissenhof-mart-stam-dutch-architect-1899-1986-stuttgart-baden-wurttemberg-germany-1927-300x200 Pour en finir avec le meuble d’artiste – Mart Stam – 1928 Histoire du design Références Textes  Weißenhof Rationalisation préfabrication Mart Stam Design Marseille Enseignement Luminy Master Licence DNAP+Design DNA+Design DNSEP+Design Beaux-arts
Maisons en bande, Séjour, Weißenhof, 1927

ll est aussi aberrant de parler d’ameublement de designers et d’artistes que de suggérer à un ouvrier des vacances sur la Côte d’Azur. Aberrant parce que 99 % de ce mobilier est beaucoup trop cher pour 99 % de la population. Bien entendu, il va sans dire que ce sont précisément ces meubles dénués de qualité qui attirent l’intérêt de tous. Ces ameublements intérieurs qui s’adressent à une clientèle aisée représentent, aux yeux du public, le symbole d’une réussite idéale. De même que l’ouvrier et le fonctionnaire modeste aspirent à posséder une maison avec un jardin et doivent se contenter d’une habitation exiguë, dotée d’un séjour et d’une salle à manger minuscules. Ils désirent que leur mobilier exprime ce même symbole de réussite idéale. Il en résulte un mobilier qui, bien que fabriqué en série, crée une fausse impression de prospérité et n’en a que l’apparence. Dans la situation actuelle, à une époque où chacun doit lutter pour subsister et où la majorité de la population peine à subvenir à ses besoins les plus élémentaires, quelques obligations s’imposent :

  1. Il faut établir une habitation standard minimum ;

  2. Le mobilier de cette habitation minimum ne prendra en compte que les standards modernes de vie, et non les styles existants ;

  3. Au lieu de correspondre à l’idéal bourgeois de la réussite, ce mobilier devra répondre au mieux aux besoins réels des gens. 

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Maisons en bande, Weißenhof, 1927

On répondra à ces besoins dans les années à venir, non seulement parce que les circonstances économiques sont si implacables qu’une habitation minimum deviendra une nécessité inéluctable, mais aussi parce que l’industrie ne permettra plus aux esthètes de concevoir ou d’influencer le mobilier. La conception d’une habitation minimale devrait avoir toute son importance à l’exposition du Werkbund à Stuttgart, car il est indispensable de passer en revue tout ce qu’il y a de superflu dans nos maisons et, ici, il y a lieu de blâmer l’industrie. Poussée par la compétition, elle a produit une kyrielle de nouveautés, sans que ces « inventions » ne répondent nécessairement à un besoin réel. Il est évident que nous nous réjouissons des progrès de la technologie, mais celui qui considère que chaque perfectionnement technique est indispensable à sa maison donne l’impression d’être un parvenu. En fin de compte, il convient de se demander quel est le but de toutes ces inventions ? Le marché des consommateurs est-il si considérable ? Qui sont ces clients ? Une grande majorité d’entre eux ne peut s’offrir ces choses. Elles restent un luxe. Il est donc préférable de renoncer à la maison idéale avec son mobilier idéal.

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Plan, Maisons en bande, Weißenhof, 1927

La première chose à faire est de consacrer notre énergie à une habitation minimum, à la meubler à un coût réduit, de sorte que les nécessités premières telles que dormir, s’asseoir, manger ou cuisiner soient, au mieux, satisfaites, et par voie de conséquence, simplifiées ; les travaux ménagers pouvant être accomplis plus rapidement et plus discrètement. En ce qui concerne ce dernier point, il faut savoir que les meubles et l’aménagement jouent un rôle plus important que l’électroménager destiné à l’entretien et au ménage. Il faut des meubles sobres, peu importe qu’ils soient beaux ou pas, et de simples accessoires. 

L’habitat minimum est évidemment de la première importance pour ceux qui ne possèdent pas de biens immobiliers, mais il incarne aussi une valeur qui concerne tout homme moderne créatif. Ce dernier, en simplifiant ses attentes quant à sa maison et sa décoration, se facilite la vie. Au lieu de s’inventer de nouveaux besoins, il se libère de ceux qui sont désuets. Moins il passe de temps à l’entretien quotidien de sa maison, plus sa vie lui apporte satisfaction. Il n’a pas besoin d’un cellier (souvenir de la cité médiévale), puisque les communications actuelles rendent désormais possible l’entreposage centralisé. Pas plus qu’il n’a besoin de lavoir puisque des machines peuvent prendre en charge le lavage et le séchage, accomplissant plus rapidement une plus grande quantité de travail. Est-ce que son linge va s’user plus vite ? Tant pis, cela ne vaut-il pas mieux que si c’était sa femme qui rendait l’âme ? Et pourquoi les gens devraient-ils manger des conserves faites maison ? Si l’habitat minimum n’a pas de grenier, où on entasse toutes sortes de vieilleries, tant mieux ! Ainsi, on ne s’attachera à rien ; ni aux meubles de sa grand-mère ni à ses souvenirs de jeunesse. Les femmes mariées ne conserveront pas de services de table incomplets ou de vêtements démodés. L’habitat minimum n’est pas une villa miniature, pas plus qu’il n’est destiné à des gens qui souhaiteraient vivre dans une villa. Il existe pour ceux qui ont des demandes moindres que les proprié-taires de vastes demeures, ceux qui ont une autre attitude face à la vie, qui n’ont pas honte de ne pas posséder le dernier gadget à la mode. S’ils y sont contraints, ils peuvent vivre sans une machine à couper te pain, préparer leurs macaronis ou nettoyer leurs bottes eux-mêmes, aussi prodigieuses de telles inventions soient-elles.

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Mart Stam, Coiffeuse, 1931

Nous nous trompons avec toutes ces inventions liées à l’équipement domestique. Elles ne simplifient pas la vie. Les tâches ménagères n’en sont pas moins contraignantes. Au contraire, ces machines réclament de l’entretien, exigent toujours un peu plus d’attention ; et ce n’était pas le but. Le ménage devrait occuper la part la plus infime de notre existence. Vivre, pour l’homme moderne, ne signifie pas en premier lieu « se mettre en ménage » ; et cet aménagement n’implique pas pour la femme moderne de « faire le ménage ». Ce sujet prend plus de sens, si l’on songe un instant à ce que représentait l’habitation à l’origine. Elle répondait à un besoin précis, celui de se protéger des intempéries. Pour nous, l’habitation est devenue bien plus qu’un simple abri. Même si cette dernière notion devrait encore prévaloir. On devrait être en mesure de la briquer de fond en comble et rapidement. La domesticité et la technologie rendent déjà cela possible, mais ces techniques et ces inventions ne devraient jamais être placées au premier plan, au risque de se retrouver errant, sans but et asservi. On aurait alors transformé ce qui est accessoire en essentiel ; et nos vies auraient perdu cette précision et cette simplicité indispensables dont chacun a besoin pour faire ce qu’il a à faire à sa juste place… 

1928  Martinus Adrianus Stam 

Martinus Adrianus Stam, “Away with Furniture Artists” in Weiner Grâff, Innenraume, Stuttgart, 1928, P. 128–130. Reproduit in Tim Benton. Charlotte Benton et Dennis Sharp (éd), Form and Function: A Source Bookfor the History of Architecture and Design, 1890–1939, Londres, Crosby Lockwood Staples/The Open University Press, 1975, p. 227–228. Traduit de l’anglais par, Aurélien Bigot et Laurent Ménétrey..  

Designer et architecte hollandais, Martinus Adrianus Stam (1899-1986) s’installe à Berlin, en 1922, où il rencontre la jeune génération de l’avant-garde européenne, après avoir étudié le dessin et travaillé pour Hans Poelzig. Certains lui attribuent la paternité de la première chaise en tubulure de métal, tandis que d’autres estiment qu’elle aurait été précédée par celle de Marcel Breuer, et d’autres encore assurent que Mies van der Rohe s’en inspira pour la sienne. Dans ce texte, Stam reprend les concepts de logement de qualité à prix modéré et de logement minimum qu’il développe depuis plusieurs années et qu’il vient d’utiliser comme principe directeur de la maison individuelle présentée au Weissenhofsiedlung évoqué ici. Stam insiste sur la valeur de l’habitat moderne qui, pratique, bon marché et facile d’entretien, incarne un nouvel état d’esprit. 

Source : Alexandra Midal, Design, l’anthologie, Co-édition : EPCC Cité du design – ESADSE et HEAD, Saint-Étienne / Genève, 2013

Design graphique : Graphic Design: Rob van Leijsen & Mariëlle van Genderen

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