« Faire mieux avec moins » ; jugaad en indien, représente l’économie frugale, dans un livre de Navi Radjou, analyste indien. Dans son enfance il a vécu la rareté des ressources au quotidien d’où il a gardé une culture de la frugalité. Il a donc travaillé sur le principe de l’économie frugale qui se définit par la capacité de faire mieux avec moins. C’est créer plus de valeur économique et sociale tout en minimisant l’utilisation des ressources naturelles et financières qui se tarissent.
L’innovation jugaad s’attache aux besoins réels des personnes exclues du Marché. Sa démarche invite à mieux partager et à prendre en compte la valeur sociale. Il s’agit de mieux utiliser les ressources naturelles comme financières, ainsi que le temps. C’est une vision qui concorde beaucoup avec mon travail.

« Improvisez. Faites preuve de créativité, d’audace, de simplicité. » Navi Radjou

De mon point de vue, le design doit avoir nécessairement une dimension sociale et environnementale. De nos jours, l’environnement est primordial dans la conception d’un projet, quel qu’il soit. Et de plus en plus, l’innovation sociale, bien qu’elle ait toujours existé, prend de nouvelles formes en réponse aux problématiques du développement durable et aux enjeux sociétaux, économiques et environnementaux. Dans l’article d’Enzo Man — zini, Making Things Happen : Social Innovation and Design, on trouve des exemples d’innovation sociale et de design participatif menés par des non-designers. D’après Manzini, avec ces projets en rupture avec les modèles dominants d’aujourd’hui, l’ensemble de ces approches confère un statut de designer à leurs auteurs. L’humain et l’environnement redeviennent pour notre époque le centre de réflexion par excellence. Ce sentiment d’agir se fait de plus en plus présent, c’est donc pour cela que j’ai le souhait de m’impliquer, au moyen de mon travail, dans cette nouvelle ère.

« La responsabilité du designer est engagée. Il y a obligation d’anticipation, il doit penser le devenir de ses produits. Le design est un métier de service, et pas uniquement un métier artistique. Tout produit intervient sur l’environnement, tout produit consomme et pollue. Le designer doit prendre en compte cette réalité dès la phase de conception et de développement. » Anne Bony, théoricienne du design, France

Dans chacun de mes travaux, je me préoccupe de l’impact environnemental et du service rendu à l’usager. Je ne considère pas les utilisateurs comme simples consommateurs, mais comme acteurs, pouvant éventuellement participer à l’élaboration du projet. C’est important dans mon travail de ne pas voir le design comme un instrument de surconsommation.

Je m’émerveille beaucoup (trop ?) de la beauté de ce qui m’entoure, la structure d’une plante, la composition d’un ciel étoilé, les nuances évolutives d’un coucher de soleil, les couleurs d’un oiseau, même du motif d’une plaque d’égout, l’égratignure d’un mur dans la rue. Je me sens proche de Vico Magistretti, qui disait : « Regardez les choses banales avec un regard inhabituel », et tout naturellement l’impulsion imaginative suivra.

« Je suis resté des nuits entières à regarder des ailes de mouches, des coquilles d’œufs ou des structures de plantes avec un microscope électronique, vous n’imaginez pas tout ce que ces observations peuvent apporter comme enseignements précieux à celui qui veut concevoir des objets efficaces… Plus la technologie avancera, plus les formes rejoindront celle de la nature. » Luigi Colani, designer allemand, extrait de Colani, Dis voir, 2000

Faire mieux avec moins

Depuis quelques années, le savoir-faire et la créativité des chercheurs indiens, éduqués dans un contexte de frugalité et non d’abondance à l’occidentale, inspirent les chercheurs des pays développés. Navi Radjou, français d’origine indienne, consultant en innovation actuellement installé dans la Silicon Valley, a beaucoup fait pour populariser cet état d’esprit dont la dénomination « jugaad », vient d’un mot hindi signifiant « savoir se débrouiller et trouver des solutions dans des conditions hostiles ». En français, l’innovation « jugaad » est traduite par

« innovation frugale », celle dont l’objectif est de trouver des solutions radicalement nouvelles, mais économes en matières premières, en énergie : peu coûteuses, mais très astucieuses.

« Les pays développés aussi ont des besoins en matière de durabilité par exemple, car nous sommes quand même très gourmands en consommation d’énergie, donc ce besoin de faire mieux avec moins c’est un besoin universel. » Navi Radjou, L’innovation jugaad, Future Mag, Arte 2015

« Dans les habitations et l’architecture des favelas, si une porte est jetée, elle peut être transformée en table. » Humberto et Fernando Campana, Qu’est-ce que le design ? : (aujourd’hui) Beaux-Arts magazine, 2004

Nous vivons dans un système mondial incroyablement gaspilleur. La surproduction et la surconsommation induisent une pollution importante sur la planète, qui nous pousse en tant que designer à imaginer un avenir prometteur. Les produits créés deviennent vite obsolètes, dus autant à la forme qu’à la qualité des matériaux utilisés. Il est donc nécessaire d’être à contre-courant du déclin écologique, en luttant entre autres contre l’obsolescence programmée. Les solutions passent par les actions locales à petite échelle, qui jouent un rôle essentiel dans la construction de sociétés à faible intensité de carbone. En effet, elles sont plus ambitieuses que les lois des gouvernements nationaux, et souvent plus efficaces en regard du temps que prend leur mise en place.

« Si l’on observe notre société, ce que l’on voit surtout, ce sont des pratiques aberrantes de consommation outrancière de matière et d’énergie, de générations de déchets, mais on ne voit pas que ça… Si l’on regarde plus en détail, on voit aussi des initiatives sociales émergentes et prometteuses en matière de développement durable. » François Jégou, « Design et innovation sociale », Azimuts n° 29, 2007

Les inégalités se creusent, les riches sont de plus en plus riches, les pauvres sont de plus en plus pauvres, et peineront de plus en plus à survivre dans un lieu avec des ressources détruites par la pollution ou exploitées par les grandes puissances. Des questions comme la pollution, l’impact en CO2 des grandes villes, qui émergent déjà maintenant, seront à éradiquer d’urgence. L’idée est de s’adapter autant dans les pays riches pour réduire la consommation excessive que dans les pays pauvres où nous retrouvons nos déchets, et où leurs déchets ne sont absolument pas traités, car ce n’est pas leur priorité.

Le monde en 2035 vu par la CIA, préface d’Adrien Jaulmes, évoque de manière très sérieuse les schémas possibles qui peuvent se créer dans le monde au niveau politique et écologique. L’intérêt d’envisager le futur est primordial dans mes travaux, et aussi pour l’impact qu’ils auront dans le futur.

Comment durent ces projets dans le temps et comment leur impact environnemental aujourd’hui va influencer demain ?

« Le design est un état d’esprit qui tente de régler une problématique, tout en favorisant l’usage, la forme et le devenir. »Vico Magistretti, Qu’est-ce que le design ? : (aujourd’hui), Beaux-Arts magazine, 2004

Jury Dnap 2017

Présidente : Aurelie Mathigot, Artiste

Norbert Truxa : Designer, Chercheur

Axel Schindlbeck : Designer, représentant l’Esadmm

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