« Il va faire froid, donc, pour cinq jours, je prends cinq pulls, quatre pantalons, ma veste d’hiver. Des t-shirts manches longues. Ah, mais celui-là ne va pas avec ce bas, et celui-ci n’est toujours pas sec… Bon tant pis, il séchera dans le sac. Quelles chaussures ? Mes baskets, bien sûr, au moins c’est confortable. Mais je prends mes petites bottines quand même, on sait jamais si il pleut. Quatre culottes, quatre paires de chaussettes. Mon écharpe. C’est ok. Après la trousse de toilette : médicament, brosse à dents, dentifrice, maquillage, démaquillant.
J’ai failli oublier les cotons : un, deux, trois, quatre. Voilà, j’ai déjà quasiment plus de place dans mon sac. Serviette check. Le gel douche check. Crème check. Ensuite pour les cours, mes livres, mon cahier et trousse c’est déjà rangé. Mon sac à dos s’est fait.
Ouf, on est bon. »
D’aussi longtemps que je me souvienne, ma vie entière pouvait tenir dans un sac rouge. Fais ton sac ! Prends tes affaires ! Tu n’as rien oublié ? Autant de phrases qui ont résonné dans ma tête des centaines et des centaines de fois pendant des années. Je suis devenue une professionnelle du minimum vital, du Tetris des affaires, de la check-list.
Deux fois par semaine, j’avais mon petit sac à l’effigie de Tom tom et nana, ma petite trousse de toilette, mespetits vêtements, mes petites chaussures. Ma petite vie dans un contenant. J’avais un jouet en bois sur roulette à l’effigie d’une tortue, au fur et à mesure des années, j’avais l’impression de devenir cette tortue. Maison sur le dos. Hyper mobile, une autonomie totale. Ma grand-mère me surnommait la bohémienne parce que j’avais toujours les cheveux en pagaille et détachés, mais j’ai maintenant l’impression d’avoir été tout autant nomade que cette ethnie tzigane. Une valse en trois temps continue entre des lieux de vie différents. Maison numéro une, trajet, maison numéro deux. Des fois, la valse s’accélérait en cinq temps. Lieu un, trajet, lieu deux, trajet, lieu trois… Une valse lente anglaise ou une valse dynamique viennoise.
Durant ces danses, ces lieux de vie se mouvaient aussi. En tout, douze portes, douze chambres, douze clés, douze cuisines, douze agencements, je pourrais vous faire une anthropologie de l’habitat. Des maisons de village, en passant par des mas provençaux, des appartements au radiateur grille-pain, aux maisons de lotissement. Petit, grand, immense. Chambre seule ou partagée. Habitation et cohabitation.
En plus de mon minimum vital, j’avais évidemment mes petits objets personnels fixes. Qui tous devaient à leur tour être compactés dans des cartons. Qui, ensuite, devait être déballés. Nous avons tous constaté dans un déménagement aussi élaboré et organisé, soit-il, qu’il manque toujours des affaires. Un carton oublié ou laissé sur le bord de la route, des affaires malencontreusement jetées. Vous pourriez voir ça comme un effet boule de neige, mais inversé. Plus je bougeais, plus ma réserve d’objets s’amenuisait. Pour devenir minimum. J’ai dû apprendre à avoir un détachement sentimental de tout. À la fin je prenais même plus la peine de les déballer.
À bas les objets de décoration et breloques en tout genre, j’en ai développé une phobie, je me soigne, la preuve : je suis ici.
Je suis toujours hyper organisée et prête pour un futur changement, quand je marche dans la rue, et que je vois des cartons en bon état, je me dis tout de suite « ça pourrait servir pour mon futur déménagement ». J’aime les boîtes de rangement, les casiers, les paniers, tout ce qui se transporte facilement. Tout me ramène à l’idée du minimum, de l’autonome, du fondamental. Faire beaucoup avec peu. Par un phénomène très contemporain d’hyper-mobilité, d’hyper-connectivité, je recherche le vital des choses. De la matière à l’objet. De l’objet au déplacement. Du déplacement au contact.
|
Jury
- Tiphaine KAZI-TANI, présidente, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; designer et chercheuse associée au CodesignLab de Telecom Paris-Tech et à la Cité du design de Saint-Étienne, associée au commissariat de la Biennale du design de Saint-Étienne, responsable du DSRD à I’ESADSE.
- Mathieu PEYROULET-GHILINI, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; designer
- Delphine COINDET, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; artiste.
- Yannick VERNET, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; responsable des projets numériques à l’ENSP.
- Frédérique ENTRIALGO, théoricienne, docteur et enseignante à l’ESADMM.