Hans Gugelot (1920-1965) et Dieter Rams (1932 —), RFA, 1956
Production Braun AG, RFA, en 1956 (puis huit autres versions, la dernière Sh55, est datée de 1963)
Quand il est né, certains membres de ta société Braun se seraient exclamés, devant ce radio tourne-disque dont la blancheur du plateau se révélait sous la transparence d’un verre organique : « Mais c’est le cercueil de Blanche-Neige ! » Sans doute, pour s’éveiller, la platine attendait-elle alors, elle aussi, la venue d’un prince charmant sous la forme d’un disque, de marque allemande, comme la sienne — disons un Deutsche Grammophon. L’histoire ne nous dit pas si du disque s’éleva alors une voix fredonnant « Un jour mon prince viendra… ». Combiné radio tourne-disque, le 914 eut, dans les années 1930, un ancêtre totalement habillé de bois que Max Braun, père fondateur de la firme, baptisa Phonosuper. De cet habit ligneux le SK4 n’a gardé que les flancs en bois d’orme, une essence choisie pour sa dureté, sa fine texture et sa teinte brun clair. Le boîtier en tôle d’aluminium pliée et laquée blanc contient tous les composants, y compris les haut-parleurs. Un couvercle peut se rabattre sur le plateau, pour le protéger. Le métal, initialement prévu pour cet élément, s’est révélé à l’essai une source de vibrations préjudiciables à une bonne sonorité. Les concepteurs ont donc décidé, et ce pour le meilleur, de substituer au métal une feuille de Plexiglas cristalline.
Les concepteurs du SK4 — outre les techniciens de Braun, qu’on ne saurait oublier — sont Hans Gugelot et Dieter Rams. Le premier collabore avec Braun en même temps qu’il enseigne à la Hochschule für Gestaltung d’Ulm depuis 1954. Le second, jeune architecte diplômé de la Werkkunstschule de Wiesbaden en 1953, intégré l’équipe Braun en 1955. Pour Rams, cette première intervention se révèle un coup de maître, et de nombreux dessins préparatoires montrent qu’il ne fut pas un assistant passif de Gugelot, son aîné de douze ans. Ce qui lia sans doute aussi les deux hommes fut leur goût commun pour le concept architectural. Gugelot l’exprime dans les superbes logements de bois d’érable qui abritent les organes des postes de radio de la série 611, qui débute en 1955, ou les combinés radio tourne-disque PK61, également de 1955. Si l’on parle architecture, il convient d’évoquer aussi le graphisme et l’omniprésence d’Otl Aicher, autre grand enseignant de ta HfG, qui œuvre simultanément, au chapitre de ta communication visuelle, pour l’image de marque de Braun. On observe, en effet, une correspondance entre le tracé qui règle la disposition des éléments du plateau et celui qui ordonne les rigoureuses mises en page des prospectus, modes d’emploi et autres supports publicitaires joints à chaque produit. Dans sa résolution parallélépipédique qu’accompagne un panachage raffiné de matériaux, le SK4 prouve d’emblée, en 1956, qu’un fonctionnalisme bien tempéré n’a rien à voir avec le formalisme desséchant auquel les suiveurs de Braun l’ont fréquemment réduit.
Raymond Guidot, Histoire des objets. Chroniques du design industriel, Éditions Hazan, Paris, 2013