Le Palais Stoclet est un vaste hôtel particulier érigé de 1905 à 1911 par l’architecte autrichien Josef Hoffmann (1870-1956). Ce monument s’inscrit dans le mouvement artistique avant-gardiste de la « Sécession viennoise », qui se développa à Vienne en réaction au courant historiciste et dont Hoffmann fut l’un des principaux chefs de file. De par sa conception, son programme et sa décoration le palais Stoclet s’impose comme le parfait exemple d’intégration de tous les arts, mettant en pratique les principes du « Gesamtkunstwerk » qu’Hoffmann cherchait à valoriser tant à travers sa propre production que par le biais de son enseignement et par la création des ateliers d’art et d’artisanat de la Wiener Werkstätte qu’il fonda en 1903. Pour la construction de cette spacieuse demeure, l’architecte put travailler avec beaucoup de liberté et bénéficia de grands moyens. La personnalité du commanditaire et de son épouse apporte de précieux éclaircissements sur la présence de cette œuvre singulière sur le territoire bruxellois. Adolphe Stoclet (1871-1949), brillant ingénieur issu d’une famille de banquiers, fut un temps chargé de la réorganisation de la voie de chemin de fer Vienne-Aspang. Lors de son séjour en Autriche où il réside avec son épouse Suzanne Stevens, fille du critique d’art Arthur Stevens, ils y découvrent les œuvres de la Sécession et apprécient l’esprit novateur de ses protagonistes.
La visite des villas de la colonie Hohe Warte érigées par Hoffmann dans le 19e arrondissement de Vienne fut pour eux une véritable révélation de ce que devait être la demeure d’une famille vivant en phase avec les idées de son temps, qui guida leurs choix postérieurs. Tous deux étaient férus d’art et collectionneurs avertis. Rappelé prématurément en Belgique au décès de son père pour prendre la direction de la Société Générale de Belgique, Adolphe Stoclet y transposa le projet immobilier qu’il avait d’abord imaginé dans les faubourgs de Vienne et c’est très naturellement qu’il s’adressa à Hoffmann pour dresser les plans de sa résidence en y appliquant les principes d’intégration de tous les arts chers aux artistes. À l’époque de sa commande, Hoffmann est véritablement au sommet de sa créativité. Architecte officiel de la Sécession dont il conçoit depuis le début les expositions, enseignant et cofondateur de la Wiener Werkstätte, il a déjà à son actif plusieurs demeures et aménagements d’intérieurs, notamment les villas de la colonie d’artistes du Hohe Warte, les habitations Hans Max Biach et Fritz Wärndorfer et le rendez-vous de chasse de Hochreith. Il termine le Sanatorium de Purkersdorf où il conçoit également avec la Wiener Werkstätte l’ensemble de l’architecture et des aménagements. Les conditions de réalisation du Palais Stoclet où il put œuvrer sans contraintes et fut entouré des plus grands créateurs du mouvement viennois, lui permirent de pousser encore plus avant ses recherches stylistiques, qui s’inscrivent d’abord dans la mouvance de l’Art Nouveau et des Arts and Crafts, et de s’affranchir de toute considération régionaliste et matérialiste pour réaliser une œuvre d’art total d’une parfaite maîtrise, d’une originalité et d’une richesse esthétique exceptionnelle. Le vocabulaire utilisé par Hoffmann à partir de 1900 s’articule autour de l’utilisation de parallélépipèdes, de carrés, symboles de l’équilibre, de volumes orthogonaux, de lignes parallèles, de volumes bien définis aux arrêtes tranchées, traduisant une recherche de pureté. La polychromie joue aussi un rôle important. Elle se caractérise notamment par le contraste entre le blanc et le noir, les tons vifs et sombres. Au travers de son interprétation, la stylisation naturaliste si caractéristique du style Art nouveau mène, chez Hoffmann, à l’abstraction et à la géométrisation. Dans le Palais Stoclet, le même langage se retrouve tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’édifice, au travers de la décoration, du mobilier et dans les jardins. On y perçoit l’exaltation des formes simples, mêlée d’une élégance maniérée et une recherche permanente de l’équilibre. À la recherche de l’idéal primitif, il génère une œuvre tout à fait originale marquée toutefois par le courant symboliste et idéaliste. Les murs extérieurs de la demeure sont traités en plans. Leurs arêtes sont marquées par une bordure de cuivre, initialement dorées à la feuille, qui détoure les volumes et assure la cohérence entre l’architecture et la décoration. Alors que l’architecture Art nouveau s’évertuait à montrer les éléments structurants des constructions et les transformait en ornements, celle d’Hoffmann se situe aux antipodes de cette tendance. Tous les éléments constructifs y sont soigneusement cachés, tandis que les plaques de parements donnent à la construction un caractère presque immatériel et intemporel.
Programme et implantation :
Le programme du Palais Stoclet avait quatre objectifs majeurs : accueillir la famille d’Adolphe Stoclet, abriter son importante collection d’art, assouvir son goût pour la musique (à titre privé, mais aussi en accueillant des artistes et musiciens), recevoir dans les meilleures conditions possibles les invités de marque, amis des arts. Si cette œuvre visionnaire apparaît immatérielle et intemporelle, son implantation sur l’avenue de Tervueren à Woluwe-Saint-Pierre, dans un faubourg de Bruxelles qui connaissait alors un développement urbain très important, n’est toutefois pas anodine et n’avait pas pour objectif de passer inaperçue. En effet, l’avenue de Tervueren, qui venait d’être tracée à la requête du roi Léopold II afin de relier, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1897, le Palais de Tervueren au centre de Bruxelles, était une des plus belles et plus prestigieuses avenues de la capitale. Bénéficiant à la fois d’un environnement champêtre et bucolique et de toutes les commodités modernes — larges allées carrossables, piste cavalière et aire de promenade bordées de marronniers, voie de tram, éclairage urbain — cette avenue était particulièrement prisée par la haute bourgeoisie qui y érigeait avec un goût ostentatoire évident de vastes hôtels de maître. Pour veiller à la cohérence urbanistique et à l’image de l’avenue, des règles urbanistiques strictes y étaient d’application et imposaient notamment une zone de recul de 12 mètres, aménagée en jardinet et une ligne d’implantation des façades.
Ces contraintes avaient comme conséquence d’imposer à Hoffmann une façade « à rue » pratiquement orientée vers le nord, en léger retrait de la voirie. Respectant ces impositions d’une part, les déjouant de l’autre, Hoffmann va adopter des solutions architecturales originales et singulières pour l’époque qui, à maints égards, témoignent déjà de son génie créateur. La vaste propriété d’Adolphe Stoclet domine la vallée de la Woluwe et donne en partie sur le square ovale qui marque la jonction entre le plateau et la vallée. D’un point de vue urbanistique, il aurait été conforme d’y retrouver l’accès principal et l’orientation du bel étage. Or le parti d’Hoffmann, qui choisit plutôt de profiter au maximum des espaces et de l’orientation, est très différent. Il fait procéder au remblayage du terrain pour rattraper le niveau et offrir un socle plane à sa construction qui domine la pente. Ce faisant, il implante son bâtiment en long, simplement séparé de l’espace public par un muret et une grille et n’oriente pas l’entrée principale vers le square, mais bien celle de la zone de service, marquée par une galerie et devancée d’une large zone de manœuvre pour les automobiles, ce qui ne manqua pas de heurter ses contemporains. Cherchant à abriter les occupants et leur précieuse collection des vues indiscrètes et des malveillances, il réalise une façade à rue plutôt austère munie d’ouvertures de petites dimensions qui préserve l’intimité et prend en quelque sorte l’option de tourner le dos à la vie mondaine en déplaçant, dans la pente, l’entrée principale, et en la dissimulant par une galerie couverte. À cet égard, l’absence de grand escalier d’apparat et de large balcon d’honneur au profit d’un oriel couvert est également très significative. Pour profiter du jardin et de la lumière du sud, l’architecte prit par contre le parti peu habituel à cette époque d’ouvrir très largement la façade postérieure suivant une scénographie maîtrisée. Du côté de l’avenue, la tour et ses gardiens de cuivre affirment toutefois sans détours le caractère exceptionnel de l’édifice tandis que la porte d’entrée, veillée par l’effigie d’Athéna, invite à commencer un voyage initiatique dans cette demeure marquée par l’hellénisme nietzschéen où les fonctions d’habitat et de réception font corps avec la pratique des arts et s’organisaient autour d’une des plus importantes collections d’art d’Europe. Ainsi, dès sa construction, l’hôtel des Stoclet reçut l’appellation de « Palais » tant sa richesse était grande et ses trésors biens dissimulés.
Le plan :
Comme il est de coutume dans les réalisations d’Hoffmann qui dessinait fréquemment ses projets sur du papier quadrillé, le module du carré joue un rôle prépondérant dans son plan. Alors qu’en façade avant l’élévation paraît à première vue dissymétrique, une lecture plus attentive permet de découvrir des rapports métriques et de symétrie subtils entre les dimensions du corps principal à gauche (37,50 m) et la longueur totale de la façade (60 m), la répartition et la largeur des pièces. Les pièces sont disposées les unes à la suite des autres comme autant de modules pour former un ensemble cohérent autour du grand hall. Dans l’organisation du plan, on observe une certaine analogie avec celui du Sanatorium de Purkersdorf. Le monument se compose de deux parties agencées en forme de L irrégulier. Le corps principal, parallèle à l’avenue est marqué par la tour abritant une cage d’escalier sur laquelle vient s’articuler perpendiculairement l’aile de service. À l’est, c’est le volume de la salle de musique qui s’étend en long, se greffant sur le grand hall marqué par un oriel et la zone centrale réservée à l’habitat. Edouard F. Sekler a remarquablement étudié le bâtiment et l’œuvre d’Hoffmann. Nous lui empruntons ici plusieurs passages : Le plan du bâtiment s’organise selon deux axes. L’un constitue en même temps l’axe longitudinal du grand hall central et l’axe de symétrie de tout le bâtiment, alors que l’autre, à angle droit avec le premier, se superpose au mur médian. Parallèlement à cet axe se trouve d’une part le couloir qui distribue le bâtiment et, d’autre part, l’axe le long duquel les salles de réception se suivent en enfilade. Le long du couloir, côté rue, se trouve l’escalier de service à trois volées qui donne accès à la cave et à l’étage et à son extrémité, la sortie vers la cour de service et le garage. Depuis l’entrée, on accède au vestibule après avoir franchi un coupe-vent à côté duquel se trouvent le vestiaire et ses pièces annexes, d’où on peut accéder au couloir de distribution ouest, qui n’est pas prolongé jusqu’au hall central, auquel on accède directement par le vestibule en pénétrant par l’angle nord-ouest de sa partie centrale, haute de 7,20 m. Dans l’angle nord-est opposé, le majestueux escalier principal dont les marches font 13,5 m (sic) x 0,33 m, conduit à l’étage à une galerie qui élargit le hall sur les quatre côtés. La première volée d’escalier est située dans l’axe du couloir ouest et permet d’accéder à un couloir est plus petit, au bout duquel se trouve un boudoir octogonal. Le mur sud de ce couloir délimité par quatre piliers et une balustrade ouvre sur le salon de musique. Il peut le cas échéant servir de tribune pour accueillir des spectateurs. La deuxième volée est à angle droit par rapport à la façade principale, la troisième parallèle. Le bas de cette volée est déjà si haut qu’il permet d’abriter un coin cheminée entouré de banquettes. Une avancée du rez-de-chaussée abrite côté rue un vestiaire pour les artistes et une entrée qui leur est réservée et côté jardin, une scène semi-circulaire. À l’étage, cette toiture plate sert de terrasse comme celle des deux avancées côté jardin, qui flanquent l’accès au hall délimité par trois arcades. Il s’agit de deux rectangles ouvrant sur un bow-window en forme de V et abritant d’un côté un fumoir et de l’autre une partie de la salle à manger. À l’étage du côté est du hall-galerie se trouve la très grande chambre à coucher des parents (5.8 m x 9.7 m), qui ouvre côté rue sur un cabinet de toilette et côté jardin, dans l’avancée, sur une salle de bains également exceptionnellement grande (6 m x 5.8 m). Suivent ensuite côté jardin un cabinet de travail et deux petites pièces annexes de façade concave et dans la deuxième avancée, une chambre d’enfant ouvrant sur une terrasse. À côté se trouvent une seconde chambre d’enfant composée de deux parties et la chambre de la gouvernante. Une troisième pièce aménagée en bibliothèque est située côté rue à côté de la salle de bains. Au deuxième étage, accessible par un escalier confortable dans l’angle nord-ouest, de nombreuses chambres, réserves, une pièce d’entretien et des salles de bains sont distribuées par un couloir central. Côté jardin, une grande terrasse court le long de la façade au-dessus des deux avancées du premier étage. De cette terrasse, comme des autres terrasses de la maison, on a une très jolie vue sur le parc boisé en pente douce au sud-est. Depuis le deuxième étage, on accède à la tour en montant un escalier à deux volées situé près de l’escalier de service ». Le corps secondaire du palais, agencé perpendiculairement sur 10 mètres de large et 25 mètres de long, s’appuie contre le volume cubique de la tour. Il ne comporte qu’un niveau et est couvert d’une toiture-terrasse pourvue d’une galerie. Il abrite les pièces réservées au personnel, la cuisine, un garage et les remises.
L’extérieur :
« Côté rue, le terrain est bordé par une grille dont le socle en pierre suit la pente du terrain. La grille ouvragée alterne avec des piliers en pierre. Devant l’aile de service, la grille est simplement composée de barreaux verticaux. Le portail de la cour-garage est flanqué de deux piliers doubles couronnés par une lanterne identique à celle du pavillon d’entrée ». La façade avant qui se développe sur un total de 60 mètres impressionne. La grandeur de l’édifice est toutefois relative et l’impression trompeuse, car les proportions intérieures, si elles sont généreuses, restent profondément humaines, la profondeur moyenne oscillant entre 13.5 et 20 mètres. Le corps principal forme un parallélépipède rectangle couvert d’une toiture en bâtière. Ce volume comporte trois niveaux sur cave, le dernier étant partiellement sous les combles. Il est marqué à l’angle nord-ouest par une tour qui s’échelonne en cascade et qui, en façade, est vitrée sur toute sa hauteur pour éclairer une cage d’escalier. Au lieu de reporter comme de coutume les services dans les caves ou à l’arrière de l’édifice, comme déjà mentionné, Hoffmann leur consacre sur le square toute une aile implantée perpendiculairement à l’avenue. La disposition de l’aile de service lui permet aussi d’isoler l’immeuble des hôtels de maîtres voisins de style éclectique. Les façades de cette villa urbaine sont particulièrement atypiques par les volumes cubiques qui s’interpénètrent. Ce qui frappe, c’est bien entendu le parement lisse en marbre bordé d’un liseré de cuivre garni de méandres et d’oves qui symbolise le flux vital et qui confère à la maison l’aspect d’un écrin précieux, mais aussi ses ouvertures étroites en façade avant. Cette impression était encore plus frappante à l’origine, alors que les marbres polis reflétaient la lumière du soleil et renforçaient l’effet a-tectonique. Les fenêtres sont presque exclusivement rectangulaires ou carrées. Elles s’inscrivent dans le plan du mur et sont munies de doubles châssis à petits-bois, d’usage courant dans les pays froids, qui leur donnent un aspect très graphique. Les murs de briques du Palais sont totalement recouverts d’un parement de plaques de marbre norvégien blanc. Le soubassement est en petit granit. L’entrée axiale, légèrement décentrée à droite par rapport à la longueur totale de la façade avant, est précédée d’un pavillon d’entrée. « La liaison entre la grille d’entrée et la maison est résolue par une loggia bordée de piliers, dont la première partie est ouverte. Celle qui abrite les marches, est bordée d’un parapet et vitrée. Le portail qui donne sur la rue, flanqué de piliers doubles, est couvert d’un auvent en métal incliné et orné d’un dessus-de-porte divisé en rectangles verticaux vitrés. La couverture métallique de la loggia est couronnée à l’avant par une statue d’Athéna posée sur un haut socle » due au sculpteur Powolny.
Le point d’orgue de la façade est incontestablement le volume de la tour à l’allure télescopique marquant la jonction entre le corps principal et le secondaire. Celle-ci est couronnée par une œuvre monumentale en bronze réalisée par un artiste berlinois, collègue d’Hoffmann à l’école des Arts appliqués de Vienne, Franz Metzner. Cette sculpture représente quatre figures masculines identiques, d’inspiration hellénique, au visage barbu et au corps nu, portant des cornes d’abondance. Chaque figure est tournée vers un point cardinal et tourne le dos à un dôme de feuilles de lauriers et de roses, symboles de la Sécession. Dans le bas de la tour, « entre le rebord de la fenêtre de la cage d’escalier et la fenêtre de cave, un relief d’Émilie Schleiss-Simandl — élève de Metzner et Moser à l’école des Arts appliqués de Vienne — représentant deux femmes très stylisées en position d’offrande, orne la façade et trois têtes sont fixées sur le linteau de fenêtre. Le premier étage de la tour est carré et dans ses angles en creux sont fixées des corbeilles de fleurs d’où tombent des guirlandes. La partie centrale du premier étage s’allonge pour former une croix dont les quatre bras portent les quatre héros sculptés par Metzner. Chaque panneau de la tour est bordé des mêmes profilés que les façades, qui semblent s’échapper en guirlande de la sphère qui couronne la tour. Ces mêmes profilés ornent également le bord supérieur de la façade principale, courant tout autour des fenêtres qui dépassent au-dessus de la façade. Leurs encadrements sont peints de couleur sombre, les montants de fenêtres divisées en petits carreaux sont peints en blanc. Elles comprennent deux ouvrants, de formes carrées au premier étage et sont un peu plus petites au second. Au rez-de-chaussée, la dimension des fenêtres varie en fonction des espaces intérieurs ».
Dans l’axe du corps principal, un oriel semi-circulaire de deux niveaux rompt le plan de la façade. Il est couvert d’une coupole et abrite une fontaine qui parachève le grand hall. Devant l’oriel, « un muret bas en pierre délimite une terrasse jardin accessible par quelques marches. Un lion d’époque romane en décore l’accès ». À gauche, la première travée est également traitée de manière particulière. Une porte-fenêtre donnant dans le petit salon situé près de la salle de musique est devancée d’un petit balcon soutenu par des pilastres sous l’assise duquel un banc en pierre trouve sa place. Le garde-corps en ferronnerie a des montants droits et est décoré de feuillages dans sa partie axiale. Au-dessus de la baie, une niche allongée abrite une lanterne. À l’autre extrémité, à droite de la tour, le volume plus bas de l’aile de service est percé d’une large baie cintrée garnie d’un encadrement flanqué de deux ouvertures rectangulaires. La façade arrière, orientée vers le sud, est très largement tournée vers le jardin. Elle adopte les lignes maîtresses de l’élévation et les mêmes finitions, mais sa partie axiale se caractérise par deux avancées de deux niveaux en éperon, réunies en leur centre par un porche concave qui forme une terrasse à l’étage supérieur. Ici, le jeu d’interpénétration des volumes est l’élément prédominant de la composition. Une fenêtre en bandeau éclaire la partie haute de la salle de musique qui se développe à droite. Les terrasses au-dessus des avancées en éperon sont accessibles par des baies tripartites bordées par des piliers cannelés. « Une fenêtre à trois ouvrants occupe le centre de la façade concave, flanquée à droite et à gauche par une petite fenêtre rectangulaire. La terrasse du second étage, qui couronne la partie médiane de la façade, est bordée d’un garde-corps métallique où de simples barreaux verticaux alternent avec des rectangles ouvragés ». À l’est, la façade latérale est marquée sur un niveau par la saillie semi-circulaire du fond de scène de la salle de musique, des baies tripartites et la présence d’un petit escalier de service. « « À côté du pilier d’angle du parapet se trouve une niche légèrement arrondie dans laquelle est placée une sculpture représentant la tête d’éléphant du dieu hindou Ganesha. De ce côté, le toit en croupe à très faible pente est encore moins visible que sur les façades principales, parce que caché par la bordure de la façade et les fenêtres débordantes. » « Sur la façade ouest de l’aile principale, le toit caché par la terrasse de la tour est presque invisible. À gauche de la terrasse se trouve une cheminée reprenant la verticalité de la tour. Devant elle se trouve la terrasse qui recouvre une partie de l’aile de service. Elle est délimitée à l’ouest par une loggia rythmée par des piliers formant une sorte de pont au-dessus de l’accès de la cour de service. Entre les piliers, la loggia est bordée d’une sorte de grillage divisé en petits rectangles peints en blancs, enserrant une étroite arcade au milieu de chaque élément. La loggia et la terrasse forment un jardin suspendu ». Vers le jardin, l’aile de service est également traitée de manière homogène et percée de petites ouvertures rectangulaires. Cette zone est légèrement en retrait de la perspective de la façade arrière, dissimulée discrètement par une pergola et des plantations.
L’intérieur :
L’intérieur de l’immeuble, plus que l’extérieur, témoigne d’une richesse ornementale exceptionnelle, si intimement liée à l’architecture qu’elle fait corps avec elle. Cette décoration étonne encore par sa modernité, la richesse de ses matériaux, la qualité de sa mise en œuvre. Les murs sont recouverts de marbre ou de lambris décorés, les revêtements de sol sont d’une grande qualité et fort ornementés, tranchant radicalement avec la sobriété des plafonds cimentés, sans moulure, et peints en blanc. Les parquets sont marquetés de bois d’essences rares, les carrelages en marbre sont animés de motifs géométriques aux couleurs tranchées. Les appliques, les luminaires, les tapis, les ferronneries, les vitraux, les papiers peints et l’ensemble du mobilier ont été conçus dans les moindres détails par la Wiener Werkstätte pour s’intégrer à l’édifice.
Dès l’entrée, par deux portes successives à double battant, le caractère de « Gesamtkunstwerk » est affirmé et le voyage dans l’univers de la Sécession et d’Adolphe Stoclet commence. Si elle n’a pas encore été étudiée de manière approfondie, il ne fait pratiquement aucun doute que la sûreté harmonique du Palais s’appuie sur un système numérique de rapports entre les parties et l’ensemble et sur une combinaison des rythmes et des proportions hérités de la civilisation égéenne. D’emblée on perçoit que le langage est à la fois neuf et ancestral. Malgré son apparente sobriété, il est riche en références. La maison allie les fonctions résidentielles et de représentation, mais au travers de son parcours et de la découverte de ses collections, elle invite le visiteur à plonger dans le passé antique, non plus au travers de la vision historiciste et des ordres classiques enseignés dans les académies, mais par ses formes les plus primitives, pour retrouver l’idéal universel, le printemps sacré cher à la Sécession. Le rez-de-chaussée se compose du vestibule attenant à un vestiaire ; du grand hall prolongé vers la façade à rue par un petit salon organisé autour d’une fontaine et, sous l’escalier, par un coin — feu plus intime dit « l’enfer » ; d’une grande salle de musique ; d’un bureau et de son fumoir ; de deux salles à manger, une principale et l’autre plus intime ; d’un office ; de la cuisine et de pièces réservées au personnel et au service. Le vestibule de plan rectangulaire est de dimension modeste. Il forme une antichambre qui rappelle les caveaux antiques. Cet effet est renforcé par le plafond légèrement cintré, les murs de marbre vert antique, le dallage de marbre blanc et de bandeaux noirs, et même les jardinières dorées qui prenaient place dans des niches, prêtes à recevoir des fleurs en offrande et qui sont déjà figurées sur les esquisses préparatoires d’Hoffmann. Scellé sur le mur de fond, un petit panneau de mosaïques, représentant une femme dénudée, inspirée directement des figures préhelléniques, attire le regard. Il est l’œuvre de Léopold Forstner élève de Moser à l’école des Arts appliqués de Vienne qui se spécialise en mosaïques et réalisera la frise de la salle à manger d’après les cartons de Klimt. Le motif décoratif en damier du pavement dicte au regard ses lignes directrices. Le mobilier participe intimement à cette mise en scène tant par ses formes que par sa polychromie et ses matériaux (blanc, noir, or, marbre). Les formes architecturales du guéridon, avec son piètement en forme de pilastres perlés, posé sur un socle noir et sa corniche dorée supportant un plateau de marbre font songer à un autel. Son motif perlé se retrouve de manière récurrente dans toute la demeure sur les meubles, l’ameublement, le papier peint. Des plafonniers sont inclus dans les niches. L’éclairage électrique diffusé par les appliques du plafond, une paire de fauteuils confortables, tapissés à l’origine de tissu fleuri et la qualité des matériaux utilisés nous rappellent que nous sommes au début du 20e siècle dans une maison bourgeoise très confortable, où grâce à la fortune et au goût des arts des propriétaires s’exprime leur quête du bonheur. À l’ouest, le vestiaire séparé du vestibule par une porte vitrée est la première pièce « moderne » caractéristique des productions de la Wiener Werkstätte que rencontre le visiteur occasionnel. Avec ses murs garnis d’un réseau de carrés blancs, ses rangées de patères et son mobilier cubique, le vestiaire étonne encore aujourd’hui. Ici, plus aucun signe ne rattache le visiteur au vocabulaire familier. Il plonge sans réserve dans la modernité. Si les lignes des dessertes cubiques sont épurées, les matériaux et la présence de lavabos de marbre offrent un confort qui rassure. Chaque détail de l’ameublement est parfaitement pensé, des patères ornées du motif losangé caractéristique aux porte-parapluies en métal blanc laqué, perforé de petits carrés, qui accompagnent le mobilier principal à entretoise. Plus encore que dans le vestibule, on ressent le dialogue étroit entre les formes du mobilier et de l’architecture et l’on perçoit la conception intégrale de l’édifice par les artistes et créateurs viennois. La partie gauche de la demeure est réservée à la vie mondaine et à l’habitation. Depuis le vestibule, les portes vitrées s’ouvrent vers le grand hall. Celui-ci traverse l’édifice de part en part et constitue l’épine dorsale autour de laquelle les pièces se distribuent. Les fins piliers recouverts de marbre jaune de Paonazzo (Italie) qui supportent sur trois côtés la galerie de l’étage et montent jusqu’au plafond suggèrent à la fois le péristyle d’un palais archaïque et l’atrium d’une villa romaine. Les proportions entre les parties inférieures et supérieures sont parfaitement équilibrées et donnent un effet de grandeur, bien que les dimensions du hall soient assez raisonnables (6 x 10 m). Le plafond et le garde-corps plein de la galerie, peints en blanc, forment un jeu de parallélépipèdes qui accentue le rapport entre les pleins et les vides et permet une lecture aisée. L’espace est lumineux, sans froideur malgré les plaques de marbres qui couvrent les murs. La symbiose entre la simplicité apparente des formes et la préciosité des matériaux mis en œuvre est totale. Bien que vides de leur précieux contenu, les vitrines en glace taillé à facettes disposées entre les piliers pour accueillir la collection d’œuvres d’art des maîtres de maison étincellent.
Dans cet espace aux proportions savamment étudiées, l’interaction visuelle entre les éléments de mobilier et l’architecture est flagrante. Gaines d’ébène et piliers de marbre dialoguent par leur verticalité tandis que l’assise massive des fauteuils, leur forme cubique et même l’aspect uni de leur couvrement s’accordent avec le garde-corps plein de la galerie. Les marqueteries du parquet en bois précieux participent également à ce subtil rapport géométrique.
Au sud, le grand hall s’ouvre vers une large terrasse en mosaïques de marbre noir et blanc. Les deux sculptures de Richard Luksch en céramique émaillée blanche qui étaient jadis disposées de part et d’autre du pavillon de jardin sont actuellement installées dans le salon. Esthétiquement ces deux figures sont proches des femmes dessinées par Klimt. Leur attitude lascive et sensuelle, le positionnement de leurs bras pratiquement décharnés, leur chevelure enveloppante s’inscrivent parfaitement dans la lignée des œuvres du Maître. Seul l’aspect brillant de l’émail leur confèrent une fluidité plus maniériste. Ces sculptures ont été initialement dessinées pour le Sanatorium de Purkersdorf. Cependant, elles furent choisies par Adolphe Stoclet pour agrémenter son jardin lors de la première grande exposition des travaux de la Wiener Werkstätte à Vienne en 1905 à la Galerie Miethke. Vers la façade avant, l’avancée semi-circulaire de l’oriel est occupée en son centre par une fontaine en marbre destiné à recevoir une sculpture de Georges Minne, artiste belge grand ami de la Sécession. Son bassin en forme d’anneau est posé sur un socle octogonal à cannelures plates, lui-même posé sur une dalle circulaire. L’eau est diffusée par quatre becs fixés à une hampe de marbre semblable à un obélisque. La fontaine est un lieu de ralliement. Tout autour, les caissons des cache-radiateurs forment des banquettes. La forme des six suspensions perlées et à chaînettes disposées tout autour de la fontaine correspond aux divisions losangées (en cloche) du vitrage. Le mobilier d’origine du grand hall s’intègre parfaitement à l’espace et est soigneusement disposé pour ne pas couper les axes de circulation marqués au sol par des chemins dont les motifs colorés d’origine faisaient songer aux émaux cloisonnés. Le revêtement velouté des fauteuils club cubiques, à l’origine en peau de renne, tranchait avec la brillance des marbres et des planchers vernis. Les luminaires électriques flanqués de cabochons de verre accentuent encore l’effet précieux. Au même titre que les précieuses œuvres d’art qui ornaient les murs, les gaines et les vitrines, un secrétaire en marqueterie de Koloman Moser — cofondateur de la Sécession et de la Wiener Werkstätte — y trouve sa place. Ce meuble, véritable objet de maîtrise, a une symbolique toute particulière. Il fut offert en remerciement par les artisans des ateliers de la Wiener Werkstätte à la famille Stoclet à la fin des travaux d’aménagement de la demeure. Son habillage en marqueterie exclusif adopte les motifs de méandres et d’oves caractéristiques de la décoration du Palais. Les figures féminines qui y sont incrustées et le jeu de méandres rappellent les « Anges du paradis » qui accompagnent « Le baiser dédié au monde » dessiné par Klimt dans la frise de Beethoven (1902), chef-d’œuvre de l’artiste visible dans le pavillon de la Sécession à Vienne. Témoins privilégiés de la conception moderne, les nombreux luminaires montrent l’importance de l’éclairage artificiel dans cette pièce centrale dépourvue de lanterneau (parti architectural très différent des œuvres Art nouveau de Victor Horta, par exemple). Leur forme très largement documentée dans les archives est originale et se décline en de nombreuses variantes. Les perles de verre qui entourent les globes ont pour fonction de refléter la lumière et de la multiplier. Discrète, une alcôve située en dessous de l’escalier menant à l’étage abrite un petit salon à l’ambiance plutôt anglo-saxonne, garni d’un feu ouvert et de banquettes capitonnées. Au-dessus de celles-ci, des plaques décoratives de Carl Otto Czeschka, autre figure majeure de la Wiener Werkstätte évoquent les fêtes dionysiaques. L’une représente deux jeunes femmes assises sur un tertre déversant de leur corne d’abondance des gerbes fleuries, l’autre deux hommes portant le fruit de leur vendange. Les figures présentent toutefois une robustesse assez germanique et le style de ces personnages rappelle celui de la tour. La stylisation florale se réduit à quelques lignes formant des spirales, des clochettes et des cœurs. Ces motifs se répètent sur les tapis (actuellement déposés dans le grenier), tandis que les motifs de raisins correspondent à ceux de la grille de la cage d’escalier et au motif des mosaïques du salon de musique, l’habituel lieu de fête du Palais. L’âtre garni de plaques d’onyx est particulièrement spectaculaire lorsque les flammes l’illuminent et lui confèrent un aspect mystérieux. Aujourd’hui encore ce salon est familièrement appelé « l’Enfer ». Dans le couloir, un bas-relief en marbre blanc incrusté de nacre représentant Saint-Georges terrassant le dragon, symbole du bien triomphant du mal, de la connaissance combattant l’obscurantisme, veille sur l’entrée de « l’Enfer », tandis qu’un miroir de forme losangée orne le mur du fond du couloir prolongeant visuellement son effet et permettant à l’œil une échappée..
À partir du grand hall, quatre marches donnent accès au salon de musique situé en contrebas. L’effet visuel des murs « tendus » de marbre noir veiné de jaune de Portovenere et bordés de plinthes en bois doré qui dessinent un encadrement plane autour de la scène et des œuvres d’art exposées est particulièrement frappant. Tout est parfaitement conçu pour que le regard glisse jusqu’à la scène. Le parquet précieux de cette salle est marqueté de teck et de corail. Le fond de la pièce, constitué par un plateau scénique semi-circulaire, est équipé d’un orgue et d’un piano en ébène de macassar bordé d’une moulure dorée, également dessinés par Josef Hoffmann pour cette pièce. Depuis la scène, lorsque les portes sont ouvertes, le regard conduit sans être interrompu jusqu’à la salle à manger familiale, la nourriture de l’esprit ne faisant qu’un avec celle du corps. Au nord, une galerie domine la salle. De l’autre côté, elle est éclairée par quatre fenêtres rectangulaires garnies de vitraux à motif central représentant des muses et flanquées de panneaux de mosaïques à motif de vigne. Le salon de musique était au centre des activités culturelles de la demeure et le caractère de « Gesamtkunstwerk » y est très affirmé. Architecture, mobilier, peinture, sculpture, vitrail, mosaïques, art lyrique et musical y sont représentés. Il fut à l’époque de ses commanditaires un haut lieu de l’avant-garde musicale et plus tard du Jazz avant d’accueillir les solistes du concours Reine Élisabeth et jusqu’il y a peu les récitals d’Ars Musica. Le mobilier de salon tapissé de soie, comprenant une paire de sofas et six fauteuils à dossier gondole capitonné et accoudoirs en bois doré sculpté d’un motif de feuillage et de clochettes stylisés, confère à cet espace un aspect particulièrement luxueux qui prolonge l’effet des bordures encadrant le marbre tout en se détachant du mur. Si l’œuvre de Klimt s’impose dans la salle à manger, le salon de musique accueillait en particulier les œuvres de Fernand Khnopff, ami fidèle de la Sécession, qui à cette époque travaille à Bruxelles pour les costumes et décors du Théâtre royal de la Monnaie.
Sous un encadrement à fronton faisant corps avec la paroi, « Une recluse » invite à la rêverie. Cette œuvre est une version tardive du tableau « I Lock my door upon myself », inspiré du poème « Who shall deliver me ? » de Christina Georgina Rossetti, et commandée directement à l’artiste par Adolphe Stoclet pour orner son hôtel. Sur ce pastel, un buste ailé, d’après la figure antique d’Hypnos du British Museum attribué à Scopas occupe une place majeure. Face à l’œuvre de Khnopff, un encadrement identique abrite une pierre tombale chinoise.
Deux autres pastels un peu plus tardifs et de plus petite dimension également montés dans un socle de marbre se faisaient face de part et d’autre de l’escalier. L’un d’eux est manquant. L’autre, « Fuisse Nihil » (12.5 cm de diamètre) est toujours dans la demeure. Le velouté de ces pastels contraste fortement avec leur encadrement de marbre. À l’origine, la pièce abritait aussi dans une niche « Futur », l’unique buste de marbre réalisé par Khnopff représentant le visage d’une jeune femme anglaise couronnée de laurier qui avait été présenté en 1898 et 1900 aux expositions de la Sécession (actuellement dans la collection du Musée d’Orsay). En contrebas de la scène, un cabinet de toilette abrite un bas-relief en marbre blanc représentant Diane réalisé par Carl Otto Czeschka et daté de 1911. Si la conception du bas-relief pour le Palais Stoclet est documentée, son emplacement initial n’a pu à ce stade être identifié avec précision même si l’on sait que les motifs décoratifs faisant allusion à la mythologie gréco — romaine sont effectivement concentrés aux abords du salon de musique. Par ses matériaux (marbre, or, nacre) et ses caractéristiques stylistiques, il est proche du bas-relief de Saint-Georges également réalisé par Czeschka pour le petit salon. Le bureau garni de mobilier en bois noir teinté et de bibliothèques fixes à vitrines est très certainement l’une des pièces où l’esprit d’Adolphe Stoclet est encore le plus présent. La pièce entière forme un cabinet d’amateur.
Un tapis de laine remplace ici la marqueterie du parquet. Son effet graphique – à motifs géométriques répétitifs noirs sur fond blanc, évoquant des clochettes stylisées agencées en croix et s’inscrivant dans un carré – est particulièrement marquant et s’accorde parfaitement à la fois avec le volume cubique du bureau et des sièges qui l’accompagne et avec les motifs tracés par les plombs des vitrages des bibliothèques. Sans aucun passéisme, l’atmosphère a quelques relents gothiques. La lumière du jardin illumine les boiseries et les représentations de la vierge côtoient les manuscrits turkmènes, les dragons chinois et les déesses égyptiennes. Les suspensions, les socles, les encadrements de la Wiener Werkstätte dont bénéficient certaines œuvres acquises précocement par Adolphe Stoclet, donnent une cohérence à leur présentation et les lient intimement à l’ameublement et à l’architecture. Dans ce lieu de travail et de réflexion, un coin fumoir, agrémenté d’un feu, est réservé sous la forme d’une alcôve munie de banquettes et de fauteuils « club » qui invitent à la détente. L’âtre est pratiquement identique à celui du salon situé sous l’escalier, mais ici le marbre veiné jaune remplace l’onyx. Devant le feu, un pavement de marbre à motif de carreaux noir et blanc protège le sol. Les murs blancs couverts de papiers peints se caractérisent par la présence de perles en relief qui créent un effet de vibration. De l’autre côté du hall, parallèle au bureau, se développe la salle à manger conçue comme un lieu sacré où les plaisirs de la table rejoignent ceux de l’esprit. Son décor initial intact est tout à fait exceptionnel. Ce qui frappe d’emblée venant du bureau ou du salon de musique, c’est le traitement différencié des pièces, à la fois unies par leur forme, leur disposition, les motifs récurrents, les matériaux, mais si différentes par l’effet qu’elles produisent. Dans la salle à manger, le dépaysement est total. Le convive est projeté sans une atmosphère évoquant les fastes de Vienne, de Sienne, de Byzance et de l’Égypte ancienne. Plus encore que dans les autres pièces la notion de « Gesamtkunstwerk » prend ici tout son sens. Malgré le traitement varié des surfaces (damiers de marbre, tapis garnis de médaillons floraux, table à plateau marquetée, meubles en ébène de Macassar, marbre blanc, frise dorée et mosaïques, argenterie polie, ornements de pierres semi-précieuses) et une grande variété d’expressions de la décoration (chaise en cuir à réminiscence « baroque », appliques à l’« égyptienne », formes géométriques…), la pièce dégage une impression de cohérence absolue. À nouveau, cet effet tient en grande partie de l’équilibre des proportions entre les éléments bas (buffet, tables et chaises), la partie médiane plus neutre en marbre blanc et la partie supérieure occupée par les mosaïques qui divisent la pièce en trois registres et les teintes coordonnées des tapis, des chaises, des buffets et des bordures dorées qui créent une unité chromatique. Les frises de mosaïque de Gustav Klimt qui illustrent respectivement « l’Attente », sur le mur face à l’entrée et « l’Accomplissement », sur le mur vers le grand hall sont véritablement exceptionnelles. Les murs parés d’or, de marbre, de pierre précieuses et de verrerie ont des effets changeant au gré de la lumière et paraissent hors du temps. Le décor produit un effet de vibrato intense auquel, lorsque la table est dressée, les pièces du service spécialement choisi par les maîtres de maison participent par leur éclat. Alors que les œuvres peintes à l’huile de Klimt évoquent volontiers la mosaïque, dans la salle à manger, Klimt, à l’apogée de sa période dorée, pourra par l’intermédiaire du mosaïste Léopold Fortsner mettre ce matériau en œuvre sans réserve.
Au travers des arabesques de la ramure dorée de l’arbre de vie, une danseuse égyptienne invite à la fête des sens. Lui faisant face dans un décor identique, l’accomplissement est symbolisé par un couple enlacé comme dans le « Baiser dédié au monde entier » de la frise de Beethoven, mais ici l’aspect décoratif prime sur l’aspect érotique, les allusions au désir charnel se font plus subtiles. La lumière du jardin pénètre dans la pièce et le miracle de la vie s’opère, la pièce s’illumine. Les meubles vernis qui reflètent l’argenterie où figure le monogramme entrelacé Stevens-Stoclet, évoquant la forme d’une graine, participent à la cérémonie permanente. L’harmonie est parfaite. Un dialogue étroit s’opère entre les méandres du tapis, les entrelacs des coupes, les plats polis. « Le troisième panneau, de composition abstraite, fait face au jardin et peut donc être interprété comme une fenêtre symbolique, opposée au monde réel. Le cadre de la mosaïque et la mosaïque placée dans une niche en double retrait, comme dans les fausses portes des mastabas égyptiens ou les niches des bâtiments mésopotamiens, fait l’effet d’une zone de transition entre deux mondes. S’il est un jour possible d‘étudier la signification de la composition abstraite, on comprendra à quoi Klimt voulait confronter les hôtes en train de partager un repas dans l’espace intérieur le plus protégé de la maison : il leur montrait un jardin de l’art et de l’amour qui — gardé par les faucons divins d’Horus — ne fanerait jamais, contrairement au jardin devant les fenêtres du palais ». Une desserte, prenant place exactement sous le panneau, flanqué dans les angles du mur de vitrines, permet d’exposer des petits objets précieux. Vers le jardin, une fontaine à tête de poisson prend place dans l’éperon, agrémenté d’une statuette de Michael Powolny, dont les céramiques sont véritablement une marque de fabrique de la Wiener Werkstätte. Jouxtant la grande salle à manger, l’atmosphère de la petite salle à manger familiale, couverte de lambris de bois laqué est radicalement différente. Depuis la scène du salon de musique, il est étonnant de se rendre compte que l’axe visuel traverse perpendiculairement le salon et la grande salle à manger pour aboutir dans cet espace plus intime. Les motifs en relief des rosiers stylisés de teinte jaune, noire et blanche sont d’une qualité technique impressionnante. La table et les chaises s’harmonisent parfaitement au décor mural. Un décor sculpté de tiges de rosier se répète sur chaque élément de mobilier. Même les assiettes du service sont coordonnées et adoptent une bordure jaune garnie d’un motif de feuillage. Des figurines et vases de Powolny étaient mis en scène dans les étagères flanquant la porte vers la salle à manger. Dans le prolongement de la salle à manger, l’office situé derrière le volume de la tour fait la liaison entre la cuisine et l’aile de service. Son décor sobre et ses murs peints en blanc rappellent le décor des pièces principales tout en adoptant une forme dictée par la fonction. Une longue desserte y prend place. La vaisselle coordonnée de la petite salle à manger y est rangée de même qu’un service à verres réalisé vers 1901 par Koloman Moser. Il s’agit d’une création précoce de première importance, produite par le cofondateur de la Wiener Werkstätte et choisie par Stoclet pour servir le plaisir de la table. L’office, la vaste cuisine équipée de fourneaux et plans de travail, les remises, les salles réservées au personnel dans l’aile de service sont tous réalisés dans le même esprit de sobriété et de luminosité accentuée par les murs blancs. Quelques petits éléments décoratifs animent parfois les murs ou les dessus-de-porte. Les meubles et ustensiles de la Wiener Werkstätte accompagnent et facilitent les gestes de la vie quotidienne. Les parallélépipèdes se déclinent dans pratiquement toutes les pièces d’ameublements. Les meubles cubiques sont fonctionnels, peints en blanc et pratiquement sans ornements, hormis la présence de gros boutons ronds de couleur noire permettant d’ouvrir les tiroirs et le motif d’ove présent sur le dossier des chaises et les vitrines. Dans le traitement de l’ensemble, on perçoit le même souci du détail et des proportions que dans les pièces d’apparat. Le traitement du sol à damiers rappelle celui de la salle à manger, les murs peints en blancs reflètent la lumière et mettent les espaces en valeur.
Conçus à une époque où le personnel de maison était en règle générale confiné dans les cuisines-caves ou sous les combles, les pièces de service et les équipements qui s’y rapportent témoignent également de l’esprit créateur et de la modernité d’Hoffmann. Ces pièces sont d’une rationalité saisissante. Le personnel dispose d’une salle à manger lumineuse donnant sur l’avenue d’où il peut surveiller les allées et venues. Le motif des mosaïques en damier de cette pièce, identique à celui des toilettes attenantes au vestiaire, est visuellement très présent. Le mobilier adopte les mêmes caractéristiques que dans les pièces réservées aux maîtres de maison, mais est davantage représentatif de la production plus sérielle des ateliers viennois qui, grâce aux chantiers de Purkersdorf et du Palais Stoclet, prend réellement son essor. Ici encore l’on sent le souci du détail et de la mise en scène. Les éléments de mobilier, les ustensiles les plus familiers sont assortis et perpétuent l’unité optique de l’ensemble. Dans le couloir on remarque un papier peint animé d’une frise verticale de points et de méandres montant jusqu’à l’étage (un papier peint similaire reprenant le motif losangé caractéristique se retrouve dans la chambre du personnel). Dans la tour, l’escalier de service en marbre noir « bleu belge » conduit à l’étage. Les marches montent par paliers successifs autour de la cabine téléphonique du rez-de-chaussée. Les lanternes murales fixées aux murs, cubiques et à décor en repoussé à motif perlé, accompagnent la progression. Cet espace fait la liaison avec la partie droite de l’édifice qui abrite les locaux de service et communique avec le garage. Le premier étage comprend le « salon barbare », un coin de repos sur la galerie en mezzanine, la chambre des Maîtres, la salle de bain, le cabinet des estampes et le boudoir de Madame, la chambre de Madame, les chambres d’enfant et de la nourrice et le petit salon de musique. À gauche du salon de musique, un escalier donne accès en entresol à la galerie et à un petit salon octogonal dit « salon barbare ». Ses murs sont tapissés de tissus à motifs de roses, son sol couvert d’un tapis de laine à décor de rinceaux stylisés bleu et blanc sur fond taupe dont les bords suivent la découpe de la pièce. Proche du salon de musique, l’atmosphère de ce salon entièrement composé est particulière et précieuse. Les pieds en gaine, les supports d’accotoirs dorés et sculptés d’un motif à feuillage évoquent quelque peu le vocabulaire du style Empire. Le plafond s’anime d’un jeu de losanges et d’un imposant plafonnier, à rideau de perles de verre participant à l’effet précieux de ce petit espace qui, en façade, s’ouvre sur un petit balcon. Les chambres et pièces privatives de l’étage s’organisent autour de la galerie. Du mobilier en bois de palissandre y trouve sa place, s’accordant avec le mobilier de la chambre principale. D’autres bois vernis seront également utilisés dans les chambres (merisier dans la chambre de Madame, chêne dans la chambre des enfants). Un petit cabinet marqueté en bois clair de Koloman Moser à motif de tête de poisson constitue une pièce maîtresse de la galerie en mezzanine. Dans le coin de repos du bow-window est située une grande table circulaire en bois laqué blanc, à pieds à entretoises croisées, soulignés d’une moulure dorée et plateau de marbre noir. Le noir de la tablette et des chaises tranche avec la blancheur des murs et du plafond. Le revêtement jaune des chaises s’accorde avec le marbre veiné jaune, noir et blanc des piliers. Les plafonniers à sphères dont les plaques d’applique prennent place dans des niches prévues à cet effet sont particulièrement présents à ce niveau. À gauche du hall, au-dessus du salon de musique, se situe la chambre principale. À l’est, elle s’ouvre vers une terrasse aménagée au-dessus de l’espace de la scène, qui permettait les exercices physiques.La chambre se divise en deux zones, l’une réservée au coucher, l’autre s’ouvrant sur la terrasse, et aménagée comme un salon avec des banquettes et des guéridons. La forme du faux plafond, voûté en doucine, les placards, les parquets vernis, les lambris et les éléments de mobilier en bois de palissandre, rehaussés d’éléments décoratifs en laiton doré, confèrent à cette pièce un caractère chaleureux. Les espaces de rangement rationnels, totalement intégrés dans les cloisons font songer à ceux d’une cabine de paquebot. L’ensemble du mobilier en bois de thuya et palissandre, comprend deux lits, deux chevets et leurs lampes, deux guéridons et deux chaises, à décor de frise géométrique. La tête et les pieds de lit dessinent une accolade moulurée. Les têtes de lits sont ornées chacune de deux sculptures en bois doré figurant des jeunes femmes drapées. Des frises géométriques marquetées soulignent les meubles. L’ensemble s’accompagne d’un grand tapis et de deux descentes de lit brun — orangé décorée de bandes alternant un motif de feuillage stylisé et un motif géométrique vert, rose et noir sur fond blanc. À côté de la chambre principale, vers la façade avant se trouve un boudoir, dont la décoration et l’ameublement s’inscrivent dans la lignée des salons d’essayage des magasins de mode, en particulier celui qu’Hoffmann et Koloman Moser réalisent pour les sœurs Flöge en 1904. On y observe une intégration parfaite du mobilier sobre et raffiné en grande partie fixe pour une fonction plus utilitaire. Le tapis suit la découpe de la pièce. Le jeu linéaire noir et blanc sur les boiseries et le mobilier confère à l’espace du boudoir un aspect très graphique qui devait participer à juger des toilettes de Madame Stoclet. Autre pièce maîtresse du premier étage, la salle d’eau, au-dessus du bureau, se démarque par ses parois au trois-quart couvertes de marbre blanc, sa baignoire et son dallage en marbre bleu belge qui offrent un confort luxueux rarement égalé, inspiré par les thermes antiques. Un large lit de repos, deux fauteuils, un guéridon à l’antique en bois laqué blanc et une paire d’athéniennes accompagnent la baignoire, taillée dans un seul bloc de marbre, et les lavabos. Au-dessus des porte-essuies de part et d’autre de la baignoire, des vitrines protègent les objets de toilette et des garnitures de salles de bains en matériaux précieux expressément réalisées par les ateliers viennois en 1911 et portant le chiffre SS. Les panneaux de marbre sont animés par des petits tableaux en mosaïques représentant des poissons réalisés par Léopold Forstner, qui apportent une note de fantaisie. À côté de ses appartements privés, Adolphe Stoclet avait prévu un cabinet des estampes pour abriter son importante collection d’ouvrages précieux et d’estampes et l’aménagea afin de pouvoir les examiner et en jouir confortablement. L’utilisation de placage caractérise le mobilier des appartements privés. Ici le merisier domine. Le mobilier est cohérent. Il se compose d’armoires fixes à vitrines, d’un meuble à estampes et d’un mobilier de salon. La forme du lustre en laiton doré qui l’éclaire est particulièrement originale. Il est suspendu par des chaînettes centrales et des rubans fixés au plafond, à coupe de section carrée et en forme de tulipe, terminée par un jeu de feuillage stylisé, portant elle-même quatre tulipes en forme de corolle. La partie droite est occupée par la chambre de Madame (au-dessus de la salle à manger) et par les pièces réservées aux enfants, qui se répartissent de part et d’autre d’un corridor. La chambre de Madame s’articule en deux parties. Le lit prend place dans une alcôve qui se ferme par des rideaux. Des vitrines garnies de croisillons losangés et des lambris habillent les murs, peints en blanc dans leur tiers supérieur. Le plafond est animé d’un motif en relief gaufré original. Le mobilier de la chambre est en placage de merisier et les chaises se caractérisent par la présence d’une petite plaque peinte à motif de quadrillage géométrique jaune noir et blanc sur leur dossier. Du mobilier plus récent réalisé dans des matériaux identiques à ceux d’origine est intégré à l’ensemble et remplace notamment le lit d’origine. La chambre des enfants ne fait pas exception et est également conçue comme une œuvre d’art totale. Son aménagement permit aux artistes quelques fantaisies. La chambre se divise en trois parties : espace de jour, cabinet de toilette et espace de nuit. La partie réservée à la salle de jour se caractérise par des murs couverts de placards et intégrant une banquette. Sur le tiers supérieur des murs court une frise peinte par le peintre animalier Ludwig Heinrich Jungnickel qui représente « le paradis des animaux ». Tout comme dans la salle à manger, la disposition de la frise et du mobilier crée des registres de lecture. Architecture, décor et ameublement sont étroitement liés. La frise a un caractère plutôt didactique, aucun élément anecdotique permettant de lui donner une signification symbolique ne transparaît. Les figures du règne végétal et animal y sont traitées de manière équivalente sans recherche de proportion de valeur ou de profondeur. Les animaux et les troncs sont presque toujours traités en négatif, en blanc et détourés sur fond noir. Seules quelques pointes de couleur accentuent les yeux ou les oreilles. Parmi les animaux de cet étrange bestiaire : élan du cap, faon, tigre, mouflon, singe, rhinocéros, iguane, escargot, crapaud. L’éventail végétal est tout aussi varié : palmiers, cactus… Les figures sont à la fois réalistes et stylisées. Le graphisme présente un certain archaïsme, proche des gravures sur bois des figures traditionnelles nordiques. La gamme chromatique est réduite (aplats de noir, blanc, rouge, vert et bleu) et ne concurrence pas le mobilier. Les meubles de la salle de jour, composé d’une table et de fauteuils, adoptent les caractéristiques générales du mobilier du Palais (pieds de section carrée, entretoises), mais sont adaptés à l’utilisation pour des enfants (angles arrondis du plateau de table et des accotoirs). Ils se distinguent en outre par la présence subtile d’un décor d’oiseaux stylisés, figurant également sur les luminaires créés en 1910 et s’accordant avec la frise de Jungnickel. L’espace réservé à la salle d’eau adopte aussi un caractère plus ludique avec son décor en carrelage blanc ponctué de carreaux très colorés. Ces carreaux sont, comme ceux du cabaret « Fledermaus » (réalisé par Hoffmann en 1907 et en grande partie financé grâce à la commande de Stoclet), l’œuvre des Wiener Keramik et de Bertold Löffler. Au-dessus des lavabos qui se font face, les miroirs biseautés trouvent une juste place entre des carreaux décorés de putti. Deux lits montés sur roulettes occupent l’alcôve. Le mobilier en chêne à décor de marqueterie (sycomore et ébène) reflète le même soin du détail. Des estampes et petits tableaux réalisés par des artistes viennois pour les ateliers de la Wiener Werkstätte complètent l’ensemble et avaient pour mission de veiller sur le bien-être des occupants (L’Adoration des bergers, la Dormition de la Vierge, et « Frohliche Weinachten »). Dans la chambre de la nourrice, comme pour les autres chambres secondaires et les pièces de service, le mobilier, en bois laqué blanc, aux lignes sobres, présente une grande cohérence formelle. On y remarque une bergère à oreilles d’un type particulièrement confortable pour s’y installer avec de jeunes enfants. La présence dans les appartements privés d’un second salon de musique, plus intime, pour l’apprentissage et les répétitions familiales, montre encore le profond attachement à la musique des commanditaires. Son piano a été conçu par Josef Hoffmann et L. Bösendorfer. Tous les meubles sont en bois noirci. Les sièges sont recouverts de velours ocre-jaune, galonnés de damiers noir et blanc, comme ceux du rez-de-chaussée. Ils sont accompagnés de tabourets et guéridons dont les piétements sont reliés par des entretoises. Le second étage du corps principal, accessible depuis l’escalier de la tour, abrite de part et d’autre d’un étroit corridor une série de chambres d’hôtes et de pièces de service : salle d’étude, corridor et salle de bain, office, chambre de bébé, chambre mauve, première chambre bleue, chambre jaune, petite salle de bains au fond du corridor, lingerie, deuxième chambre bleue, chambre noire, troisième chambre bleue, chambre verte. Chaque pièce, de forme parallélépipédique, est de dimension modeste et meublée de manière sobre et fonctionnelle tout en veillant au confort des occupants. Ainsi chaque chambre a une décoration personnalisée suivant un schéma de base identique.
Dans la chambre de bébé, un subtil motif de volutes et clochettes stylisées se répète sur le chevet et sur les murs (médaillons avec motif appliqué de feuilles, fleurs en cœur) apportant une touche particulière et plus douce à cette chambre garnie de meubles en bois laqué blanc, caractéristiques et fonctionnels. Ailleurs, les lits sous alcôve s’accompagnent de chevets, de chaises, de guéridons et petites tables. Du mobilier de salon est également présent. Les luminaires sont tous réalisés expressément pour les lieux.
Les bois employés – laqué blanc, vernis, en bois noirci ou ébène – sont identiques à ceux présents dans les autres pièces d’usage ordinaire. Les aménagements sont coordonnés, les formes et matériaux récurrents témoignant de la vision globale de l’aménagement (pied de section carrée, croisillons, galons à damiers, suspensions en étain).
Caves et grenier :
Les caves sont accessibles soit à partir de l’escalier situé dans la tour, soit par un escalier extérieur, en façade arrière. Les différents locaux présents dans ces sous-sols se situent de part et d’autre d’un couloir central, parallèle à la façade à rue. Ils accueillent la citerne à mazout, les compteurs d’eau, de gaz, d’électricité, la buanderie, la cave à vin et autre stockage. La ventilation des sous-sols est assurée par quelques soupiraux. Les caves sont les fondations du corps principal de l’hôtel, façades et espaces des niveaux supérieurs reposant sur ces murs, ainsi que d’une partie des espaces de service attenants. L’autre partie des fondations de ces espaces est en pleine terre. La maçonnerie des caves est composée de briques peintes en noir (plinthes) et en blanc. Les sols sont constitués de marbre concassé. Les voûtes sont en briques peintes en blanc. Les combles sont lambrissés. À l’heure actuelle, un certain nombre d’objets — tapis, suspensions, surplus des tissus, etc. — se trouvant à l’origine dans les pièces principales y sont déposés en attendant leur restauration. Ces objets ont tous un lien avec l’ameublement de l’édifice et participent à l’usage de la demeure. Les tapis et pièces de tissus déposés sont des pièces historiquement très importantes qui permettront à l’avenir de retrouver les motifs d’origine des sièges, tapis ou tissus garnissant les vitrines.
Le jardin :
Anette Freytag a consacré une étude très fouillée au jardin du Palais Stoclet, dont il ressort que le Palais est indissociable de son jardin. L’étude complète est jointe en annexe au dossier. Nous en reprenons deux passages : « Le Palais Stoclet et son jardin […] forment un véritable ensemble […] Nous sommes ici en présence d’un Gesamtkunstwerk par excellence. En effet le jardin est lié au bâtiment, son tracé reprend ses axes et ses modules et la taille originale des buis et des ifs de l’avant-cour reprend les formes et les motifs de la façade sur rue et de la tour. Hoffmann a donné également beaucoup d’importance aux éléments et espaces de transition entre la maison et le jardin, telles les terrasses du bâtiment d’habitation et de l’aile de service ». « L’aménagement du jardin Stoclet peut être résumé de la façon suivante : l’architecte, lors de la conception du Palais, travailla avec des modules carrés de différentes tailles. Le plan repose sur un système orthogonal d’axes parallèles et perpendiculaires et sur un principe de succession d’espaces finement élaborés. Cette méthode fut reprise pour le jardin : le module carré fut repris en plusieurs endroits, le plan du jardin est strictement orthogonal et prolonge certains axes du Palais dans le jardin. Dans la revue l’Architecte de 1924, le tracé du jardin est considéré comme étant tellement réussi que « ce jardin de dimension moyenne donne l’illusion d’un vaste parc ». Cette impression ne peut provenir de l’étude du plan ; elle nécessite une promenade dans le jardin. Son parcours a été consciencieusement dessiné par Hoffmann, exactement comme pour le Palais, afin de surprendre le visiteur en plusieurs endroits : de grands axes surgissent, des sculptures constituent des points de vue, des salles de verdure parfois reliées par des berceaux sont cachées derrière les charmilles. Hoffmann a soigneusement élaboré une « promenade pittoresque » dans le jardin pour retenir et exciter la curiosité de ses visiteurs à chaque pas. Les éléments architecturaux dominent dans l’ensemble du jardin, mais particulièrement dans la partie centrale. Même les plantes participent à ce concept architectural : les ifs et les buis sont taillés de manière artistique, les treillages comportent des « colonnes de lierres », les charmilles constituent de longues parois. Les feuillus en port libre du parc boisé situé à l’est et à proximité du pavillon de jardin et dans les salles de verdure contrastent, par leur allure pittoresque, avec les formes strictes de l’ensemble. Le contraste entre les formes architecturales et les couronnes des arbres en port libre est spécialement riche. Hoffmann a cassé le système axial en laissant sur place plusieurs arbres solitaires préexistants. En général, il fit preuve d’une grande intelligence dans le traitement du terrain et sut y adapter le plan strict du jardin ».
Véritable œuvre d’anticipation reconnue à travers le monde, le Palais Stoclet constitue un jalon important dans l’histoire de l’architecture moderne dont il contient pour certains les prémices. Les lignes épurées de la Sécession viennoise sont aussi considérées comme à l’origine de l’Art Déco. Enfin, tant par ses formes que par les concepts qu’il véhicule, il annonce l’architecture moderniste et reste encore aujourd’hui d’une frappante modernité. Cette magnifique demeure constitue incontestablement le chef-d’œuvre de l’architecte viennois Josef Hoffmann qui fut en matière d’architecture l’un des principaux représentants du style Sécession, mais aussi le principal fondateur, en 1903, des ateliers de la Wiener Werkstätte. Celle — ci rassemblait les meilleurs artisans de l’avant-garde viennoise, réunis par le même souci de modernité. Le Palais Stoclet s’impose comme la réalisation architecturale la plus significative, la plus remarquable et la mieux conservée de la Sécession viennoise. La plupart des éléments formant l’ensemble du mobilier et des objets décoratifs et usuels du Palais Stoclet ont été dessinés par Josef Hoffmann lui-même. D’autres artistes de renommée internationale, adeptes des concepts de la Sécession ou regroupés au sein de la Wiener Werkstätte, ont également signé certaines pièces tels que Koloman Moser, cofondateur du mouvement et Gustav Klimt, figure de proue de la Sécession qui au sommet de son art réalisa les admirables panneaux de mosaïques de la grande salle à manger, mais aussi les nombreux artistes associés d’ateliers viennois : Carl Otto Czeschka, Richard Lüksch, Michael Powolny, Ludwig Heinrich Jungnickel, Urgan Janke, Edouard Wimmer et des artistes belges, amis de la Sécession comme Georges Minne et Fernand Khnopff. Dans la conception sécessionniste, le cadre de vie de l’Homme Moderne, sa maison, son ameublement, les accessoires de son habitat, devaient exprimer la beauté de son âme et sa personnalité. Véritable monument dédié à l’amour de l’art, le Palais Stoclet a été conçu comme un environnement total dont les moindres détails, qu’ils soient architecturaux ou décoratifs, du mobilier de jardin aux services de table furent réalisés selon les mêmes critères de qualité. Ainsi, non seulement, le Palais Stoclet s’inscrit parfaitement dans cette ligne, mais il s’impose comme l’archétype du « Gesamtkunstwerk », concept esthétique d’œuvre d’art total tel qu’il se développa au début du 20e siècle dans l’esprit de l’Art nouveau. D’une part, l’architecture, l’ameublement, le jardin du Palais Stoclet constituent un ensemble indissociable d’une qualité esthétique et d’une richesse exceptionnelle, mais, d’autre part, au travers de son programme et de son décor, la peinture, la sculpture, la musique, la danse et la poésie sont également omniprésents. Au-delà de la vision artistique traditionnelle c’est la recherche d’un idéal universel qui guidera Hoffmann et qui trouvera sa plus haute expression dans la grande salle manger où les plaisirs de la bouche et de la chair se mêlent à ceux de l’esprit dans le décor éblouissant des mosaïques dorées de Gustav Klimt. Dans le Palais Stoclet, l’ornement s’intègre intimement à la structure du bâtiment. On y retrouve de manière omniprésente les motifs et formes caractéristiques de la production des Wiener Werkstätte adaptées à chaque pièce, suivant les circonstances particulières. L’interaction entre l’architecture et le mobilier est permanente. Elle est perceptible tant dans la forme des éléments de mobilier (carrés, parallélépipèdes, ovales), parfois fixes et intégrés aux murs et au sol, que dans les coloris principaux (noir, blanc, or, jaune, rouge, vert), la présence des motifs récurrents (méandres, oves, motifs losangés et perlés, en cloches, rose emblème de la Sécession et des ateliers de la Wiener Werkstätte, SS entrelacés figurant le chiffre de Suzanne Stoclet Stevens, raisins, arborescence et oiseaux, papillons, triangles faisant allusion au W des ateliers viennois, petits carrés). Ces motifs qui servent véritablement de fil conducteur à la lecture de l’ensemble se retrouvent sur les vitrages, les bordures de bronze, les murs (papiers peints ou en relief), les parquets, la marqueterie, les claustras et la quasi-totalité du mobilier et des objets d’ameublement ou encore dans l’aspect des finitions (brillance des placages et bois laqué, polissage des marbres, reflets des mosaïques, de l’argenterie, des luminaires). Ils assurent la cohérence de l’ensemble des pièces dont le caractère individuel est parfois fort différent. Dès sa création, tout en ce Palais respirait l’harmonie parfaite, des meubles aux décors, de la plus petite cuillère de la salle à manger aux vêtements portés par le couple Stoclet, des bijoux de Madame aux fleurs disposées dans les vases des salons. Cette harmonie marqua profondément l’ensemble des visiteurs et fit l’objet d’inlassables descriptions notamment dans les revues d’architecture. Elle marque encore profondément les lieux. Parmi tant de témoignages et d’écrits, Edouard F. Sekler, le plus grand spécialiste de l’œuvre de Hoffmann tire les conclusions suivantes : « avec le recul, il apparaît que le Palais Stoclet aussi bien en ce qui concerne l’extérieur que l’intérieur est le sommet de l’œuvre de Hoffmann. C’est un exploit qu’il ne réussit pas à renouveler, ni en dimension, ni en qualité, ni en signification au cours d’une longue et fructueuse carrière ».