Design Luminy Lucia-MOHOLY-NAGY-Portrait-dOtti-BERGER Otti BERGER (1898-1944) – Partie I/4 : Biographie et Formation (1898–1927) Histoire du design Motif & Ornement Références Textes  tissage Textile Otti BERGER Design Marseille Enseignement Luminy Master Licence DNAP+Design DNA+Design DNSEP+Design Beaux-arts
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Otti BERGER (1898-1944) – Partie I/4 : Biographie et Formation (1898–1927)

1. Origines familiales et cadres sociologique et historique

Otti Berger est née le 4 octobre 1898 à Zmajevac, faisant alors partie du Royaume de Croatie-Slavonie dans l’Empire austro-hongrois (aujourd’hui en Croatie). Son nom complet est Otilija Ester Berger. Elle est issue d’une famille juive hongroise, dont le statut social se situe dans la moyenne provinciale de l’empire multiculturel. Elle grandit dans un milieu cultivé, sans être bourgeois au sens viennois.1

La situation géopolitique de l’Empire austro-hongrois à la fin du XIXᵉ siècle et la structure sociologique du royaume de Croatie-Slavonie ont fortement influencé l’identité de Berger. Elle grandit dans une zone frontalière marquée par la coexistence des communautés juives, hongroises, croates et serbes. L’éducation des jeunes filles juives dans ces régions, bien que limitée par les facteurs sociaux et patriarcaux, reste néanmoins accessible aux enfants des familles aspirant à une forme d’intégration culturelle, notamment par la scolarisation dans des établissements de langue allemande ou hongroise.2.

La période de son adolescence est marquée par la Première Guerre mondiale, dont les bouleversements géopolitiques affecteront directement ses trajectoires de formation et de mobilité. L’effondrement de l’Empire en 1918 crée les conditions de l’émergence du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, puis du Royaume de Yougoslavie. Ce redécoupage territorial aura pour effet de transformer Zmajevac en périphérie marginale d’un nouvel État national, mais également de contraindre les intellectuels juifs de la région à envisager une émigration culturelle et académique vers les centres artistiques allemands ou autrichiens.

2. Formation initiale : Zagreb et Vienne (1910–1926)

Les premières informations concernant sa formation artistique se trouvent dans les archives de  l’Académie des arts appliqués (Akademija Primijenjenih Umjetnosti) de Zagreb, dont les archives indiquent sa présence parmi les étudiantes dans les classes de dessin et de composition textile3, entre 1920 et 1926. Cette période est cruciale pour l’éveil de sa conscience artistique, mais également politique. Berger y découvre les écrits de Karel Teige, les productions du Bauhaus de Weimar et l’esthétique constructiviste soviétique, largement diffusés dans les milieux modernistes des Balkans via les revues telles que Zenit, Dada Tank, et Der Sturm.

La lecture du manifeste du Bauhaus de 1919, rédigé par Walter Gropius, exerce sur elle une influence décisive. Le texte préconise la dissolution des hiérarchies entre les arts majeurs et mineurs, ainsi que l’union de l’art, de l’artisanat et de l’industrie. Cette vision rejoint ses propres préoccupations en matière de design textile. C’est dans ce contexte qu’elle décide, à l’âge de 28 ans, de quitter Zagreb pour intégrer le Bauhaus de Dessau en Allemagne.

3. Admission au Bauhaus de Dessau (1927)

Otti Berger entre officiellement au Bauhaus en 1927, à Dessau, où l’école a été transférée depuis Weimar en 1925, après les pressions politiques conservatrices exercées contre l’avant-garde. Elle est immédiatement orientée vers l’atelier de tissage, considéré à la fois comme espace d’expérimentation plastique et comme lieu de confinement genré des femmes dans l’institution.4

Le Bauhaus avait accueilli, dès sa fondation, un grand nombre d’étudiantes, mais celles-ci étaient souvent reléguées dans des disciplines jugées « féminines », notamment le textile. Malgré cela, l’atelier dirigé successivement par Georg Muche,  Helene Börner par interim, Gunta Stölzl, puis Lily Reich, acquiert rapidement une autonomie expérimentale forte. C’est dans ce contexte paradoxal – à la fois émancipateur et discriminant – que Berger développe ses premières recherches sur la structure textile, la double chaîne et la tension des matériaux mixtes5

Les archives du Bauhaus indiquent qu’elle suit les cours de Paul Klee, Josef Albers et Wassily Kandinsky. Ces enseignements vont profondément modeler son approche : Berger ne conçoit pas le textile comme simple surface décorative, mais comme articulation spatiale, modulable, structurelle, en lien direct avec l’architecture. Son carnet de croquis, conservé en partie à la Harvard Art Museum Archives, contient des notes sur la composition en grille, le rythme linéaire, et la relation entre tissu et lumière6

4. Relations institutionnelles et ruptures disciplinaires (1927–1929)

Les rapports de Berger avec la direction du Bauhaus sont marqués par une tension croissante entre ses ambitions formelles et les limites de l’atelier textile tel qu’il était initialement conçu. Selon Ulrike Müller, « Berger refusa très tôt de considérer le tissu comme une fin décorative et revendiqua pour la fibre une autonomie plastique, à égale dignité avec la structure architecturale elle-même ».7

Cette posture la conduit à critiquer ouvertement certaines orientations utilitaristes de l’atelier, notamment dans les applications commerciales commandées par les industries locales.

En 1928, elle commence à travailler sur des compositions textiles tridimensionnelles destinées à des panneaux modulaires, qui anticipent l’intégration du textile dans l’espace intérieur comme élément fonctionnel et non ornemental. Cette conception sera reprise plus tard par des figures telles que Anni Albers, bien que Berger soit la première à l’avoir théorisée dans des fragments de texte, publiés dans des bulletins internes du Bauhaus.

En 1929, elle entame une collaboration étroite avec Lilly Reich, ancienne collaboratrice de Mies van der Rohe et figure-clé de la section féminine du Deutscher Werkbund. C’est grâce à Reich que Berger obtient l’autorisation d’enseigner en tant qu’assistante au sein de l’atelier textile. Cette reconnaissance institutionnelle reste rare à l’époque pour une femme non allemande et originaire d’Europe du Sud-Est.8

5. Conclusion de la formation et mutation disciplinaire (1930–1932)

En 1930, Berger achève sa formation officielle au Bauhaus, mais reste attachée à l’école en tant qu’enseignante et technicienne. Cette période de transition entre élève et praticienne la pousse à développer une conception industrielle du textile. Elle rédige un mémoire technique sur la mise au point de tissus synthétiques à base de viscose et de cellophane, matière alors expérimentale, qu’elle envisage comme alternative aux matériaux traditionnels pour l’architecture moderne.9

Son approche repose sur l’hypothèse selon laquelle le tissu peut agir comme un filtre thermique, acoustique et lumineux – thèse qu’elle développera plus tard dans son atelier de Berlin. En 1932, elle quitte définitivement Dessau, après la fermeture politique du Bauhaus par les autorités prussiennes.

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Gertrud ARNDT, Otti BERGER à la cantine du Bauhaus le dernier jour avant la fermeture
Notes :
  1. Judith Raum, Otti Berger: Weaving for Modernist Architecture, Berlin, Spector Books, 2023), p 17–18[]
  2. Elie Kedourie, The Jews of Eastern Europe 1772–1881, New York,Holmes & Meier, 1979, p122–127[]
  3. Maja Fowkes, The Green Bloc: Neo-Avant-Garde Art and Ecology under Socialism, Budapest, CEU Press, 2015, p32–34[]
  4. Magdalena Droste, Bauhaus, 1919–1933, Cologne, Taschen, 2006, p94–97[]
  5. T’ai Smith, Bauhaus Weaving Theory: From Feminine Craft to Mode of Design, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014, p88–89[]
  6. Harvard Art Museums, “Otti Berger Sketchbooks”, Bauhaus Collection, Object no. 1999, p144[]
  7. Ulrike Müller, Bauhaus Women: Art, Handicraft, Design, Berlin, Jovis, 2019, p56[]
  8. Anja Baumhoff, The Gendered World of the Bauhaus, Frankfurt, Peter Lang, 2001, p113[]
  9. T’ai Smith, Bauhaus Weaving Theory: From Feminine Craft to Mode of Design, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014, p96-99[]

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