Le monde contemporain, lieu d’avancées techniques et technologiques ne nous laisse plus le temps de connaître et comprendre réellement le sens des matériaux ayant permis de construire les objets et espaces qui nous entourent. On manque de recul sur les matériaux qui nous ont permis d’être dans cet élan insatiable de production, on ne voit plus les parties constituantes mais seulement la forme finale: emballages à usage unique pour le dernier Iphone, des gratte-ciels, des voitures autonomes et des fusées commerciales. Est-ce que nous pouvons réellement dire que nous savons ce qu’engendre la production de tous ces objets? Comment influencent-ils la vie sur Terre? Notre santé? Notre quotidien? «[…] Peut-on vraiment décrire un arbre? Nous ne le pouvons, sauf avec des termes superficiels. Nous pouvons dire, par exemple, qu’une certaine configuration moléculaire se manifeste comme un arbre. Mais quel cerveau existe-t-il parmi les hommes qui pourrait ne serait-ce que noter, encore moins diriger, les changements constants au sein des molécules qui surviennent tout au long de la vie d’un arbre? Un tel exploit est complètement inimaginable! Moi, Crayon, suis une combinaison complexe de miracles: un arbre, zinc, cuivre, graphite, et ainsi de suite.»Leonard E. Reed, I, Pencil (traduction par Oliver Salway) Dans l’exemple du crayon, le point de départ est le cèdre du nord de la Californie et de l’Oregon, mais ces arbres s’inscrivent dans un cycle naturel foisonnant, de part avec leurs réseaux racinaires complexes qui fonctionnent en symbiose avec différents champignons. Mais aussi grâce aux bactéries, aux insectes pollinisateurs et oiseaux frugivores qui jouent chacun un rôle essentiel dans ce système naturel complexe. À grande échelle, couper un élément naturel de son milieu éventre tout un écosystème et impacte les sols, le climat, les eaux et par conséquent notre mode de vie et notre santé. Il faut penser les matières que nous utilisons autrement que dans le cadre du cycle économique. Sinon comment s’affranchir du système de production dans lequel nous sommes actuellement? Conception, Production, Vente, Achat, Poubelle? Un système qui nous a amené à la crise existentielle actuelle. Ce système n’est pas cassé, il fonctionne exactement comme il est censé le faire, il en faut un nouveau. Comme le dit Hélène Tordjman lors de la conférence «Affranchir les ressources» avec La Manufacture d’Idées: une marchandise est un objet produit en vue de l’échange marchand. Donc, ni la Terre ni le travail humain ne sont des objets produits en vue de cela. Pourtant, les deux sont entrés dans le marché entre le XVIIe et le XIXe siècle. Aujourd’hui on observe un nouveau mouvement d’extension du domaine de la marchandise à des domaines qui n’étaient pas touchés auparavant par l’échange marchand, et c’est vrai en particulier de ces choses naturelles. Par exemple, depuis les années ‘70, l’émergence des biotechnologies et des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) a crée une plateforme où les gènes sont devenus des ressources marchandes échangées de manière privée, avec un prix fixé par les entreprises dont ce sont les matières premières (industrie pharmaceutique, semencière et cosmétique). Ils ont pu les faire rentrer sur le marché car ils ont été sujets à un droit de propriété particulier, privé, qui relève de la propriété intellectuelle. Ce sont littéralement des ressources d’information, puisque l’information génétique devient industrialisée. À partir de 1998 en Europe, on a des textes de loi qui permettent de déposer des brevets sur des organismes vivants, et donc sur l’information génétique. Ce qui veut dire que l’entreprise qui aura breveté une séquence génétique particulière touchera des royalties pour tous les endroits dans lesquels se trouvera cette séquence dans le domaine vivant. Je pense que nous devons déjà tenter d’appréhender la vastité que constitue l’écosystème d’un matériau exploité afin d’avoir un aperçu des répercussions liées au fait d’arracher ces matériaux de leur écosystème naturel pour les faire basculer dans ce cycle économique. En s’intéressant à seulement trois matériaux: le bois, le métal et le plastique on peut se faire une idée de l’impact, de la vraie valeur et du sens qu’implique créer et produire aujourd’hui. Dresser une liste de courses de matériaux pour aboutir à un projet ne suffit pas. On se coupe de toutes les informations qui définissent cette matière. Il faut avoir une conscience globale de l’histoire, des possibilités et de l’impact humain et écologique de l’exploitation de ces matières premières. Ces données sont disponibles et accessibles à n’importe qui aurait accès à une bibliothèque, à Internet ou à une étiquette de composition d’un produit commercialisé. Ce qui est proposé ici est un répertoire de données permettant de synthétiser cette vaste quantité d’informations et donner des clés de lecture sur les écosystèmes de ces matériaux. En tant que consommateurs et producteurs à petite échelle nous avons une obligation de prise de conscience et de responsabilité face aux matériaux que nous utilisons. Nous nous devons de prendre le réflexe d’apprendre à observer les objets qui nous entourent et surtout respecter les matières premières qui sont consommées et qui s’implantent dans notre quotidien. Il faut savoir remettre sur un piédestal ces éléments qui nous accompagnent.
Photographies : © Cécile Braneyre