MANIFESTE DU RAYONNISME

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Nous vivons une époque où l’art se détache définitivement de la nature et entre dans une phase de développement autonome. La peinture se libère des objets, de la représentation, de la narration et de la description, pour devenir une création indépendante de formes, de couleurs et de volumes. Elle devient autosuffisante : elle n’a plus besoin de justification extérieure, elle porte en elle-même sa nécessité et sa valeur. La peinture est autosuffisante ; elle possède ses formes, ses couleurs et son timbre. Il existe aujourd’hui plusieurs orientations : le cubisme, le futurisme, l’orphisme. Elles se sont toutes formées comme un développement logique de la peinture antérieure.Le cubisme enseigne à révéler la troisième dimension par la forme et non par la perspective atmosphérique et linéaire ; le cubisme analyse l’objet et le divise en éléments constitutifs. Le futurisme étend la peinture  : il place l’artiste au centre de l’image, observe l’objet depuis différents points de vue  ; il proclame la transparence des objets et la représentation du mouvement. L’orphisme construit la peinture selon des lois musicales, cherchant à introduire la simultanéité et la dynamique de la couleur pure.

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Ces orientations représentent d’importantes étapes dans la libération de la peinture de la représentation et du naturalisme. Mais elles restent, à des degrés divers, liées à l’objet, même si celui-ci est transformé ou désagrégé. Le cubisme et le futurisme restent attachés à la forme de l’objet  ; l’orphisme, en s’en libérant, remplace la forme objective par la construction musicale, ce qui l’éloigne de la peinture proprement dite. Nous pensons que la peinture doit reposer uniquement sur ses lois spécifiques et qu’elle doit construire un système plastique autonome. Le Rayonnisme est un pas en avant : il ne représente pas les objets, ni même leur fragmentation, mais la somme des rayons qui en émanent et qui, se croisant, créent de nouvelles formations plastiques. Nous percevons la somme des rayons qui viennent de la source lumineuse, se reflètent sur l’objet et parviennent à notre champ visuel. La peinture rayonniste ne montre pas l’objet  : elle montre l’action de ses rayons, leur croisement, leur composition. La forme objective disparaît, remplacée par l’interaction lumineuse.

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La somme des rayons provenant de l’objet A se croise avec la somme des rayons de l’objet B. Dans l’espace qui les sépare naît une nouvelle forme, déterminée par la volonté de l’artiste et par l’organisation plastique. La peinture cesse d’être une surface sur laquelle on copie un modèle  ; elle devient un espace autonome, vivant, indépendant. Le Rayonnisme affirme la liberté totale de la peinture  ; il rejette l’illusionnisme et la soumission à la nature. Nous ne considérons pas le tableau comme un écran passif qui reproduit des reflets, mais comme un organisme actif qui transforme la réalité visible en une réalité picturale. Dans la peinture rayonniste, la forme, la couleur, la direction des traits ne sont pas choisies au hasard : elles correspondent à la nature même du rayonnement, à sa force, à son orientation, à son intensité. La composition naît de la combinaison des directions et des tensions lumineuses, non de l’imitation ou de la déformation volontaire des objets. C’est pourquoi le Rayonnisme est fondamentalement différent du cubisme, qui analyse et divise l’objet, et du futurisme, qui le montre en mouvement. Ici, il ne reste plus de trace de l’objet : seulement le résultat de l’interaction des rayons.

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On peut dire que le Rayonnisme est un art spatial, qui introduit une quatrième dimension dans la peinture  : la dimension du temps et du mouvement des rayons. Le tableau devient la surface où se manifeste l’action complexe des forces lumineuses. L’artiste ne copie pas ce qu’il voit  : il crée une nouvelle réalité, une somme de forces et de tensions. Ainsi, la peinture cesse d’être la servante de la nature et devient un organisme vivant, qui agit par ses moyens propres. Elle est indépendante de la narration, de l’imitation, de la symbolique illustrative. Elle est purement picturale, plastique, autonome. Les tentatives de certains artistes d’introduire la musique en peinture (l’orphisme) sont, à notre avis, des tentatives extérieures  : elles n’ont pas de fondement dans la nature même de la peinture. La peinture doit se développer selon ses propres lois, sans recourir à des analogies étrangères.

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On peut trouver des exemples d’expérimentations plastiques qui ont préparé le terrain au Rayonnisme chez Pablo Picasso, lorsqu’il peignait avec du sable, du verre pilé, qu’il faisait des reliefs et modelait des formes en papier mâché. Ces essais montrent qu’il est possible de sortir du cadre traditionnel du tableau et de le rapprocher de l’espace. Mais le Rayonnisme va plus loin : il introduit dans la peinture la perception de l’action des rayons, la compréhension de l’influence lumineuse et énergétique de l’objet. Il ne s’agit plus de peindre des surfaces ou des contours : il s’agit de représenter un processus, un échange, un phénomène invisible.

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Le Rayonnisme est un art nouveau, qui correspond à l’esprit de notre temps : un temps de découvertes scientifiques, de transformations rapides, de destruction des limites anciennes. La peinture ne peut plus se contenter de reproduire des apparences mortes  ; elle doit devenir la traduction vivante des forces qui agissent autour de nous et en nous. Le Rayonnisme est la peinture de l’avenir, la peinture des énergies, des tensions et des rayons.

Design Luminy 22Saucissons-et-maquereaux-rayonnistes22-1912-Mikhail-Larionov-1881-1964-1024x862 Manifeste du Rayonnisme — Mikhaïl Larionov et Natalia Gontcharova — 1913 Motif & Ornement Textes  Ornement motif Manifeste Abstraction Design Marseille Enseignement Luminy Master Licence DNAP+Design DNA+Design DNSEP+Design Beaux-arts
Mikhail Larionov (1881-1964) «  »Saucissons et maquereaux rayonnistes », 1912,

 

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