Luléa JOACHIM-TRAN – Dnsep 2025
En octobre 2023, je suis allée voir le spectacle À nos humanités révoltées de Marie-Julie Chalu & Marina Monmirel, du collectif ICO•NO•CL•A•STE1. La performance est basée sur le recueil éponyme2 de la poétesse Kiyémis3 créé en collaboration avec elle. Cette performance “revendique la nécessité de rendre audible sous une forme sensible plurielle : les paroles des femmes noires face aux systèmes d’oppression4”. À travers la récitation de poèmes, la danse, et la création vidéo et sonore5, les deux performeuses évoluent sur une scène de manière habitée et profondément sincère. À la suite des 40 minutes de performance, une discussion-lecture s’est tenue entre les deux performeuses, des amies et collègues, et le public, afin d’aborder les sujets qui traversent le recueil de Kiyémis, c’est-à-dire la famille, la nostalgie, la diaspora, la colère, la résilience… La discussion interrogeait aussi ce qu’implique d’être des créatrices afrodescendantes en France. Ce moment s’est finalement clos sur un micro ouvert, qui m’est apparu comme le reflet du contexte sociologique et politique actuel, mettant en exergue toutes les problématiques abordées plus tôt, et les paradoxes qui les accompagnent. Cet échange était une juxtaposition entre des moments de douceur et de force communautaire et des interventions déplacées et violentes de personnes non concernées. Je suis sortie de la salle bouleversée. Partagée entre la joie d’avoir assisté à un spectacle beau, important à mes yeux, et la lassitude d’avoir, même dans ce contexte, eu à subir des paroles et idées inscrites dans un privilège racial.
Après ce spectacle dans lequel le corps était le medium principal pour “célébrer nos souffrances, glorifier nos existences, raconter nos histoires6” ; je me suis questionnée sur les mémoires des identités diasporiques.
Plus précisément sur la manière dont le corps et l’esprits racisés sont porteurs de la mémoire de leurs ancêtres. Comment ils sont traversés par, à la fois, les vécus de leurs aïeux, mais aussi par des problématiques spécifiques à l’époque actuelle dans laquelle ils évoluent.
Les vécus de mes aïeux sont directement liés à l’histoire coloniale française. Ma mère est vietnamienne, mon père est guadeloupéen. Iels7 se sont rencontré·es à Disneyland Paris dans les années 90, alors qu’iels y travaillaient toustes deux. Iels ont eu un premier enfant en 95, Owendo, puis un second, en 2000, moi, Luléa. Comme beaucoup d’enfants ou de petits- enfants d’immigré·es, je ne connais pas bien mes histoires culturelles et familiales, puisque bon nombre d’éléments n’ont pas été écrits ou ne m’ont pas été transmis. J’aimerais aller sur place, sur les terres de mes parents, pour apprendre et comprendre, mais elles sont difficiles d’accès, que ce soit en termes de distance ou de moyens. Et, si j’arrive à y aller, la langue reste un obstacle.
- Créée en 2014, ICO•NO•CL•A•STE est une plateforme qui propose à travers des créations scéniques, événements et produits culturels (expositions, médias, projections) des questionnements sur les expériences dites « minoritaires », les imaginaires et les utopies marginales, les cultures diasporiques, l’archive populaire, la vulnérabilité de laisser trace. Le collectif ICO•NO•CL•A•STE porte les projets suivants : afropea sur les identités et créativités afropéennes, Zouk Vintage, un podcast sur la culture zouk, NOIR CINEMA sur les cinémas noirs indépendants et Archives du R&B français.[↑]
- Kiyémis, À nos humanités révoltées, Premiers Matins de Novembre Editions, 2020.[↑]
- Autrice, poétesse afroféministe et conférencière. Elle a publié le recueil de poèmes À nos humanités révoltées en 2020, l’essai Je suis votre pire cauchemar en 2022, le roman Et, refleurir en 2024, et a présenté l’émission en ligne Rends la joie sur Médiapart.[↑]
- Présentation du spectacle sur le site du Théâtre de l’Œuvre.[↑]
- Musiques de FKA Twigs, Nina Simone, Crystallmes.[↑]
- Extrait du poème Les Négresses sales, du recueil À nos humanités révoltées, Premiers Matins de Novembre, 2020, p.17.[↑]
- J’utiliserai des procédés d’écriture inclusive, tels que la féminisation syntaxique, et l’emploi de nouvelle grammaire. Lorsque le texte adoptera un langage où le masculin est prioritaire et majoritaire, c’est que la citation emploie originellement ce procédé.[↑]