Architecte établi à Berlin et à Chicago.
Actif en Allemagne de 1908 à 1918 et aux États-Unis de 1938 à 1969.
Considéré depuis les années 1950 comme un « maître » de ce qu’il est alors convenu d’appeler le Mouvement moderne, Ludwig Mies van der Rohe est l’une des figures les plus importantes de l’architecture du XXe siècle en Europe et aux États-Unis. Peu loquace, retenu dans ses prises de positions théoriques, cet austère inventeur de formes et de types bouleverse la pensée spatiale à partir de ses projets des années 1920. Souvent réduit à des clichés sur le « plan libre » ou « l’espace moderne » voire reconduit de façon fétichiste à des problématiques strictement constructives, ce corpus d’œuvres est façonné par une pensée portant sur la matière et la définition de nouveaux espaces, mais qui ne peut être séparé d’un souci de l’ordre, qu’il soit structurel ou monumental.
Guidé par des aînés tels que Berlage ou Behrens, Mies van der Rohe ne perd jamais de vue le rationalisme de Viollet-le-Duc et le classicisme éclectique de Schinkel, et sait distinguer entre le sens de la durée et l’historicisme, affirmant dans son manifeste de 1924 Baukunsr und Zeitwille, « qu’il n’est pas possible d’avancer en regardant en arrière ».
Ludwig Mies — il transforme son nom en Mies van der Rohe en 1920 — est issu d’une famille de tailleurs de pierre rhénans. Il fréquente de 1896 à 1899 la Domschule d’Aix-la-Chapelle puis, de 1899 à 1901, la Gewerbeschule, avant de travailler chez divers entrepreneurs et architectes de la ville. Son éducation s’achève dans les agences berlinoises de Bruno Paul (1905-1907) et, surtout, de Peter Behrens (1908-1912), où il collabore aux projets pour l’AEG.
Sans attendre de créer sa propre agence, en 1913, il construit plusieurs résidences dans l’ouest de Berlin, dont les maisons Riehl à Neubabelsberg (1907), Perls et Werner à Zehlendorf (1911 et 1912).
La vigueur de sa personnalité se manifeste avec son projet de concours pour le Monument de Bismarck à Bingen (1910) et le projet de maison Kröller-Müller à La Haye (1910). Après la guerre, qu’il passe à Francfort, à Berlin et en Roumanie, ses deux projets successifs pour un gratte-ciel de verre sur la Friedrichstrasse à Berlin (1921-1922) imposent une conception innovatrice de l’architecture métropolitaine par leur refus des hiérarchies de la composition conventionnelle.
En 1922, Mies adhère au Novembergruppe, dont il devient président. De 1923 à 1925, il participe à la rédaction de G – Zeitschrift für elementare Gestaltung, et fonde le Zehnerring, qui deviendra le Ring, organisation d’architectes radicaux (1924). La pensée spatiale de Mies se précise avec son projet d’immeuble de bureaux en béton (1922) et surtout, avec ceux de deux maisons de campagne théoriques, l’une en béton (1922) et l’autre en brique (1923), où se condensent les thèmes de De Stijl et El Lissitsky. Les maisons Wolf à Guben (1925-1927) ou Esters et Lange à Krefeld (1929) transforment ces principes théoriques en volumes contrastés de brique, matériau utilisé aussi pour donner une expression poignante au monument à Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, à Berlin (1926). En 1926, il devient vice-président du Deutscher Werkbund, pour lequel il organise l’exposition de Stuttgart (1927). Il y conçoit le plan d’ensemble de la Siedlung du Weissenhof, cité démonstrative où il édifie un immeuble d’habitation à structure métallique et à plan flexible. Mais c’est avec le pavillon de l’Allemagne à l’Exposition internationale de Barcelone (1929, reconstruit en1986) que ses solutions spatiales connaissent un écho mondial. La dissociation des murs et des poteaux ouvre en de multiples figures l’intérieur du pavillon de Barcelone, puis celui de la villa Tugendhat de Brno (1929-1930), où ses solutions rencontrent un programme d’habitation, avant d’être développées dans la «maison d’un célibataire », à l’Exposition de la construction de Berlin (1931).
Entre août 1930 et août 1932, Mies dirige le Bauhaus de Dessau. Il transfère l’école à Berlin-Steglitz et ne peut empêcher sa fermeture par les nazis (juillet 1933). S’il participe au concours pour le siège de la Reichsbank (1933) et réalise un stand à l’exposition Deutsches VolkDeutsche Arbeit (1934), Mies se voit peu à peu marginalisé par le régime, et ne parvient pas à construire la maison Hubbe à Magdebourg (1935) : il poursuit alors ses recherches sur des maisons à patio, tout en menant une introspection théorique sur la technique et la société inspirée par des penseurs catholiques tels que Romano Guardini et Rudolf Schwarz. Reconnu aux États-Unis dès lors que son thuriféraire Philip Johnson expose son œuvre au MOMA de New York (1932), il s’y rend une première fois pour étudier le projet de la maison Resor située à Jackson Hole, dans le Wyoming (1937-1938). Contraint de démissionner de l’Académie prussienne des beaux-arts en juillet 1938, il émigre à Chicago pour devenir directeur de l’école d’architecture de l’Armour Institute (Illinois Institute of Technology, ou IIT, à partir de 1940). Jusqu’en 1959, Mies y conduira avec l’aide d’anciens du Bauhaus un enseignement rigoureux fondé sur l’apprentissage des matériaux et de la construction. Après avoir conçu selon un principe modulaire le plan général du campus de l’IIT (1940-1941), il y construit, dans un langage dérivé de l’architecture industrielle, le Centre de recherche sur les minéraux et les métaux (1942-1943) et l’Alumni Memorial Hall (1945-1946), remarquable par ses solutions d’angle et son escalier ; mais il ne peut réaliser son projet de bibliothèque et de bâtiment administratif. Mies développe aussi ses idées spatiales avec les projets de «musée pour une petite ville » et de salle de concerts (1942), dans lesquels le jeu des grands plans verticaux se raffine. Devenu citoyen américain en 1944, il construit avec la maison Farnsworth à Plano (Illinois, 1945-1950) un prototype de pavillon transparent au paysage et fondé suit l’utilisation de l’acier. Après les Promontory Apartments (1946-1949), construits en béton apparent à Chicago, il réalise enfin dans cette ville deux tours à structure d’acier et à façade d’aluminium et de verre, au 860/880, Lake Shore Drive (1948-1951). Avec l’ensemble voisin du 900/910 (1953-1956), il s’agit de la première formulation convaincante d’un programme d’habitation collective en hauteur, thème décliné ultérieurement dans de multiples immeubles. Mies ne réalise cependant qu’un seul quartier complet, le Lafayette Park de Detroit (1955, 1960), associant tours et habitations en bandes.
Il poursuit parallèlement son travail sur les grands volumes à cloisons variables, avec son gigantesque projet de Palais des congrès pour Chicago (1952-1954) et surtout avec le Crown Hall de l’IIT (1950-1956). Indice de son prestige retrouvé en Allemagne, la Nationalgalerie de Berlin-Ouest (1962-1968) est le point d’aboutissement de cette lignée de projets, avec la table d acier de sa toiture raccordée par des rotules aux poteaux périphériques. En Amérique du Nord, Mies établit avec le Seagram Building (1954-1958), réalisé à New York en coopération avec Philip Johnson, la première d’une série de stèles austères répondant au thème de l’immeuble de bureaux, dont il avait pressenti l’importance trente ans plus tôt. Par la suite, le Federal Center (1959-1964) puis la Direction régionale d’IBM (1966-1969) inscrivent l’empreinte de cette architecture de l’ordre industriel sur Chicago. L’ensemble du Toronto-Dominion Center à Toronto (1963-1969) et celui de Westmount Square à Montréal (1965-1969) montrent le potentiel urbain offert par la combinaison des deux types de bâtiments dont Mies n’a cessé de poursuivre l’affinement : la tour et le grand volume ouvert. Pendant six décennies fertiles en changements politiques, culturels et artistiques, son œuvre est marquée par un effort constant pour donner une forme rationnelle, intellectuellement et matériellement, aux programmes des élites engagées dans la transformation de la société.
Tiré d’un côté vers le rationalisme constructif, et d’un autre vers la recherche d’une firmitas plus institutionnelle que physique, Mies voit dans l’architecture à la fois l’expression d’une certaine « volonté de l’époque » et celle de valeurs permanentes, pouvant être lues dans une perspective platonicienne. Les monolithes d’acier et de verre édifiés dans les villes américaines reflètent cette tension vers un Bauen, un « construire », concentré dans un ensemble limité de formes dépourvues de volonté esthétique et tendant à « servir » plus qu’à interpréter. Utilisant l’acier et le verre, matériaux de la grande industrie, dans des configurations déterminées par les stratégies esthétiques de l’avant-garde, et pourtant marquées au sceau du classicisme, Mies a élaboré dans ses types initiaux et dans leur déclinaison des catégories d’édifices aussi symboliques du mode de production capitaliste que les palais florentins l’étaient de la société marchande du Quattrocento. Plus qu’aucun autre architecte de la modernité, il a ainsi fait figure de metteur en forme de la modernisation, exécutant en définitive le programme que Behrens avait esquissé pour l’AEG au début du siècle.