(L’interview d’Alexandro Mendini est ici (extrait), et en version complète ici)
Louna Ricci est étudiante en 3e année.
En premier lieu, Alessandro Mendini parle de ses intentions vis-à-vis du Design dans tout ce qu’il comprend, du Design qu’il peut produire, à savoir libérer le Design de sa dimension industrielle, qui a tendu à le complexifier et le dépersonnaliser. Comme lui-même le cite, « il s’agit de réaliser des projets avec les mains ».
Selon Alessandro Mendini, l’autoproduction prend son sens dans l’essentialisation de la construction d’un projet. En effet, il s’agirait de procéder à une réhabilitation du système de création et de production mis en place, par une simplification du process de conception et de réalisation du projet, qu’il soit de l’ordre du design, de l’architecture, de l’urbanisme.
On comprend alors dans son discours que l’autoproduction est une tentative de transgresser, de dépasser ces modes de production en se rapprochant de l’usager et en prenant des chemins plus directs.
Si l’on prend un peu de recul, dès le Bauhaus en 1923 nous avons été pris par le virage industriel, toujours dans cette optique de diffuser auprès du plus grand nombre les problématiques et les idéaux communs de la Modernité, à savoir concevoir des objets pour tout le monde, et qui soient de bonne qualité.
On dénonce donc communément trois points : la présence d’un style unique, l’industrialisation des produits liés aux cycles de production et de consommation (dans un système capitaliste), et le fonctionnalisme — et soulève toujours la question de la beauté, du bon goût et de la fonctionnalité d’un objet.
Or dans cette quête du Beau et du Bon, le Design s’est vu dominé par l’emprise industrielle et le capitalisme de masse. La « Création industrielle » constituait alors la branche principale du Design, où l’industrie produisait ce qu’elle concevait. Une uniformisation dont Alessandro Alessandro Mendini souhaite se départir.
Il part d’un constat, qui est que le Design est devenu trop complexe, tant dans sa production que sa conception et sa réflexion, à force de vouloir être trop fonctionnel. Et par là, il propose de repenser le Design dans une optique plus humaine, plus personnelle. Il souhaite ramener le Design à une plus petite échelle, en rompant avec la loi de la série industrielle.
Si on fait un état des lieux, on assiste là à un aplanissement des idées, tant sur le plan politique (auparavant les groupes étaient bien distincts), que sur le plan des idées, mais aussi sur le front créatif, conceptuel et productif.
Dans la même lignée, Alessandro Mendini évoque/dénonce dans son discours des idéologies molles dues au centrisme, à l’universalisme, avec pour seul point commun la logique de marché. Il y a cette unité de production qui est venue faire perdre son sens à tout le travail réalisé dans la création et la réalisation des produits.
De ce fait, on peut voir là un travail de déconstruction de la société de consommation initié par ces mouvements auxquels Alessandro Mendini a participé, à savoir le design radical, le controdesign (notamment avec Global Tools, Superstudio, Alchimia) : on a affaire à une déshumanisation, une déculturation, un appauvrissement qualitatif, un rétrécissement de la diversité culturelle. En effet, il y a un aplanissement des idées qui se retrouve tant dans la situation politique qu’au sein des travaux d’architecture, d’urbanisme, de design.
En libérant le design de cette emprise industrielle de grande distribution,, d’hyperconsommation, Alessandro Mendini souhaite procéder comme à un renversement, en revenant à des fondamentaux, un retour aux choses essentielles, primordiales, de manière à réinterroger nos pratiques et nos idéologies, afin de réhabiliter, de produire de nouvelles pratiques dans le Design, en architecture et en urbanisme également.
On peut contourner les modes de production mis en place par l’industrie. Proposer une relecture du monde moderne. Tout comme l’a fait Gaetano Pesce qui a travaillé autour de la problématique de variation de l’objet dans le système de production industrielle, notamment dans sa série « Pratt chair », où celui-ci montre bien que l’on peut faire d’un objet standard une pièce unique au sein d’une série de produits similaires, mais pas identiques.
En introduisant une étape dans la phase de fabrication, il parvient à différencier les objets les uns des autres. Produisant ainsi une série « diversifiée », il utilise le design comme une manière de percevoir les objets qui nous entourent, et établit un lien émotionnel avec l’usager. On avait perdu cette cosmicité, ce lien spirituel aux choses.
Ou, à une échelle plus intime, avec Hubert Duprat et ses larves trichoptères, qui a su mettre à profit les capacités constructives de cet animal au profil industrieux, pour réaliser, par un même mode opératoire, des bijoux uniques.
Selon Alessandro Mendini, on peut alors parvenir à concilier ses deux initiatives (arbitraires), à savoir le fait main et l’innovation technologique. La notion d’autoproduction tend donc à un renouvellement, et ne tend donc pas à éradiquer ce qui a été mis en place, mais plutôt à le réinvestir dans une approche simplifiée.
En ce sens, Alessandro Mendini, au travers de cet extrait, pose la question d’une redistribution des tâches et des rôles en quelque sorte, dans le domaine du Design. En effet, cet extrait permet d’affirmer que Alessandro Mendini développe plus largement une critique de la société de consommation et, par ailleurs au sein du groupe Alchimia, va expérimenter les liens possibles entre artisanat et industrie. Il y a là une propension à se réapproprier le processus créatif, et à revoir et amoindrir le dialogue avec les interlocuteurs commerciaux ou industriels.
Il se situe donc dans un entre-deux, entre le participatif et le fonctionnel, l’artisanat et l’industrie. D’après lui, l’industrie pourrait alors répondre à un renouvellement par une personnalisation du produit résultant. Le radicalisme dans lequel il s’inscrit est caractérisé comme une activité libératrice, et non pas tant comme une tendance uniquement contestataire.
Dans cet entretien, on parle d’artisanat vis-à-vis de l’écologie, car le grand récit du Design aujourd’hui se porte sur la cause environnementale. L’artisanat est une ressource pratique et matérielle, un mode de production et de pensée lié à une logique environnementale. Cette histoire d’artisanat doit devenir celle du 21e siècle, et donc il faut adapter nos pratiques existantes au monde moderne.
Si je me rapproche de mes propres pratiques, mes projets tendent à une production pleinement manuelle. En effet, si Alessandro Mendini souhaite revenir à un Design plus humain par la réintroduction de l’artisanat dans la chaîne de production industrielle, je m’identifie clairement à cette pensée via mon affection pour l’implication manuelle que je porte à mes projets.
J’ai pour but dans mes pratiques de valoriser la participation du Designer au sein même du projet et du processus de production. Cela tend à dépasser la démarche de conception, à traverser les frontières entre les disciplines, à s’investir dans la production finale, donner tout son sens au caractère unique d’une pièce, réintroduire une histoire, assumer un discours, se positionner dans les problématiques du monde dans lequel nous vivons.
Selon moi, allier le fait main à des pratiques innovantes est prometteur et peut être source de progrès. De mon point de vue, la vague d’excès dans laquelle nous sommes pris, se doit d’être revue et rééquilibrée. Nous devons nous diriger sur des pratiques transdisciplinaires, et pour innover nous devons faire coexister le travail des diverses disciplines au sein d’un même sujet d’étude.
Nous sommes en capacité de reconsidérer nos pratiques et nos convictions dans le domaine du Design et en vue des problématiques environnementales, nous sommes en passe de proposer de nouvelles pratiques innovantes en reliant les facultés artisanales et techniques dont nous disposons, avec les nouveaux moyens techniques et technologiques que nous mettons en place, telles que l’impression 3D, la découpe laser…
Aujourd’hui, j’estime que nous tendons à articuler nos savoir-faire avec les nouveaux moyens technologiques dont nous disposons de manière à répondre aux problématiques qui se posent à nous actuellement, à savoir des questions écologiques et environnementales. En effet, avec les nouvelles technologies d’aujourd’hui, il y a matière à dépasser cet infléchissement des idées et des pratiques créatives.
À titre d’exemple, je souhaite évoquer le travail de l’architecte et artiste canadien Philip Beesley. Au travers de ses pratiques actuelles, notamment dans la série « Hylozoic », qui est une expérimentation où il explore la sauvagerie du monde moderne, le mode de représentation organique et robotique, et le pont que l’on peut créer entre le monde de l’animé et celui de l’inanimé. À mon sens, son travail est pleinement en lien avec les problématiques actuelles, et se situe dans un travail de recherches qui relie l’artisanat et les nouvelles technologies.
Ainsi, il remet en question le futur de l’architecture réactive et interactive, et est parvenu à créer des structures d’acrylique transparent, de réseaux interactifs et de lumières réagissant aux mouvements, produisant comme un feuillage biotechnologique.
Pour finir, je souhaite appuyer mon point de vue en abordant le principe du biomimétisme, qui pour moi est une démarche prometteuse, source de progrès et d’innovation. Le biomimétisme s’appuie sur les modèles de la nature afin de reproduire les propriétés des systèmes biologiques en vue de résoudre des problèmes technologiques. Cela s’applique à de nombreux domaines,
notamment en architecture, ou cette démarche intervient à plusieurs niveaux : imiter la forme et la surface, imiter le processus et le matériau, et imiter un écosystème.
Antoni Gaudi, architecte et par ailleurs pionnier du biomimétisme, dira lui-même que « l’architecte du futur construira en imitant la nature, parce que c’est la méthode la plus rationnelle, la plus durable et la plus économique ».
Pour conclure, la création d’aujourd’hui, pour répondre aux enjeux actuels, doit être en mesure de réinterroger ses pratiques de manière à les adapter au monde moderne, reprendre les éléments qui fonctionnent tels que nos capacités artisanales et techniques, les mettre à profit du progrès technologique auquel nous faisons face.
Bibliographie/sources des recherches :
http://www.isdat.fr/content/uploads/2018/10/isdaT_entretien-Global-Tools-Mendini.pdf
http://www.isdat.fr/la-recherche/programmes-de-recherche/global-tools/analyse-et-methode-radicale/
http://www.isdat.fr/content/uploads/2018/10/isdaT_entretien-Global-Tools-Branzi-1.pdf
http://www.archilab.org/public/2003/fr/co03_13fr.html
https://www.telerama.fr/scenes/alessandro-mendini-le-designer-hyperhumain,84667.php