Au début des années 1920, architecte sans architecture depuis sa sortie d’école, puis empêché par la guerre, Mallet-Stevens réalise, comme il le faisait avant le début des hostilités, quelques aménagements d’intérieurs encore fortement influencés par la Sécession Viennoise. Il vient cependant de commencer sa carrière de décorateur de cinéma. Parallèlement ses décorations de boutiques, ses intérieurs voire des architectures composées pour les stands du Salon d’Automne ou de l’Exposition des Art Décoratifs de 1925 lui offre l’occasion de s’imposer sur la scène parisienne. Le caractère populaire de ces grandes manifestations permet ainsi à Mallet-Stevens d’exposer, bien que temporairement, à la vue de tous, théories et pratiques architecturales. En 1922, Paul Poiret offre à l’architecte la possibilité de mettre en œuvre une première « vraie » réalisation, mais la faillite du couturier l’empêche cependant de terminer le chantier. Avant la réalisation du garage Alfa-Roméo rue Marbeuf à Paris (1927), la villa Noailles (1925), puis la rue qui porte son nom (1927) qui lui assureront, en quelques années, une réputation de constructeur, Robert Mallet-Stevens n’est d’abord qu’un architecte de simulacre. Entre les pavillons pour les Expositions et les films (au nombre de vingt), il s’agit de plus d’une trentaine de réalisations — la création d’architecture fictionnelle constitue une activité majeure de son œuvre. Comme André Granet qui décore pendant 30 ans le Grand Palais, à Paris, pour les Salons de l’Aviation ou de l’Automobile, Robert Mallet-Stevens est un architecte du simulacre. Il ne s’agit pas tant d’une activité annexe, en attendant qu’on lui confit des réalisations « en vrai », mais d’une activité revendiquée, pleinement intégrée au reste de son œuvre. Une composante à part entière de sa pratique : Le cinéma, porte-drapeau de la modernité, devient un sujet propre à séduire l’architecte. Décors, réflexions théoriques et pratiques, l’architecte est sur tout les fronts, à la disposition de productions et de réalisateurs soucieux de donner une touche « moderniste » à leurs réalisations. Quant au travail didactique engagé par Mallet-Stevens, à travers publications et conférences, il lui permet d’expliciter sa logique architecturale, tout comme les films auxquels il participe, deviennent, eux, un outil de propagande. Le Décor moderne au cinéma, publié sous la forme d’un porte-folio — qui est la manière commune alors de diffuser l’architecture – peut apparaître de ce point de vue comme une sorte de manifeste. On comprendra alors que pour Mallet-Stevens l’architecture de simulacre, et particulièrement le décor de cinéma, est une matrice, un terrain d’expérimentation, des essais à échelle 1. Et au cours de ces échanges entre fictions et réalités le vocabulaire de l’architecte s’enrichit, prend vie, s’essaie à la lumière. En somme, l’on pourrait ainsi penser qu’une partie de l’architecture moderne est née par le cinéma ; que l’architecture moderne est d’abord une fiction.
Alexandre Mare, critique d’art, co-commissaire de l’exposition permanente villa Noailles
Texte extrait de Maurice Culot (sous la direction de) Robert Mallet-Stevens, itinéraires, Éditions AAM, Bruxelles, 2016.