(…) Peu de temps après le workshop, l’équipe responsable m’a proposé d’intégrer leurs équipes en tant qu’agent de production « designer ». Ma première mission consistait à assister une présentation de produits réalisés par les dinandiers pour un industriel mexicain « World Coppersmith » ; ce dernier avait commandé une série d’ustensiles effectués par les artisans de Constantine. Étant donné que les enjeux de l’industriel étaient liés à un mode de production sériel, les objets réalisés par les artisans devaient forcément suivre ce mode de production. Or, selon un des dinandiers, sa pièce était réalisée en 20 jours. C’est une poêle en cuivre martelé avec un poignet ciselé presque sculpté, l’intérieur de l’ustensile est couvert d’une couche d’étain, qui permet la cuisson d’aliments gras. La pièce n’était guère adaptée au mode de fabrication en série. Je me suis mis à lui expliquer les attentes du client, qu’il fallait réfléchir par conséquent à des pièces industrialisables, avec un temps de production réduit. Il m’a souri et m’a cité un proverbe algérien « الخدمة لمليحة تطول », ce qui veut dire « un résultat de qualité nécessite du temps ». C’était prévisible, les ébauches de tous les autres artisans étaient également des pièces uniques. Avec un tel rythme et une telle méthode, le projet ne sera jamais bouclé dans les temps. Cette expérience m’a fait comprendre qu’un premier contact entre industriel, designer et artisans, en même temps, est impératif, avant de se lancer dans la concrétisation de n’importe quel projet. Entre le design et l’artisanat, les enjeux habituels sont différents, le mode de production l’est tout autant. Il est donc important d’effectuer d’abord un travail de communication entre les trois acteurs et puis un travail de recherche est tout aussi nécessaire pour permettre à l’artisan de mieux cerner les attentes de l’industriel. L’artisan ne produit que des pièces uniques avec des moyens matériels rudimentaires ne pouvant s’adapter au mode de production à une échelle industrielle. Et si on tentait de se mettre dans la peau du personnage, cet homme met tout son savoir-faire dans chacune des pièces qu’il produit. Pour lui chaque pièce est unique, il ressent une sensation de fierté de ce que peuvent réaliser ses mains. En tout cas, c’est ce que j’ai pu ressentir en les côtoyant, en travaillant avec eux. Une ambiance de concurrence positive emplissait l’air et chacun d’entre eux tentait de se surpasser pour prouver qu’il était le meilleur en telle ou telle technique.