Le fauteuil rouge et bleu est l’un des rares objets « utiles » du XXe siècle à affirmer son appartenance aux avant-gardes artistiques et à incarner la synthèse des arts. C’est ce qui lui vaut aujourd’hui sa valeur proprement mythique. Structurellement, ce siège répondait aux exigences du mouvement De Stijl, dont il est devenu l’une des œuvres phares. Il s’en affranchit en introduisant, pour des raisons « ergonomiques », deux plans inclinés de contreplaqué dans le jeu de lignes verticales et horizontales des tasseaux de bois. En 1918, Rietveld, qui connaît Bart van der Leck depuis 1911, rencontre Robert van’t Hoff et Theo van Doesburg. Cette année-là, il met au point la version définitive de son fauteuil. Dans le numéro 2 de la revue De Stijl, il explique vouloir éviter « toute subordination entre les éléments, afin que l’ensemble ait une place libre et claire dans l’espace et que la forme prédomine sur la matière ». Le siège est alors en bois brut. Ce n’est qu’en 1923, sous l’influence manifeste du néoplasticisme de Mondrian, qu’il recevra la polychromie que nous lui connaisssons aujourd’hui. Loin de s’opposer aux principes structurels du meuble, la couleur en souligne au contraire la nouveauté.Les tasseaux de bois qui, réunis entre eux par simple chevillage et collage, se croisent à 90 degrés au point de leur liaison, affirment le parti pris cartésien de la partition de l’espace en vue d’y enclore des formes spécifiques, celles des différents utilisateurs. Le fait que les tasseaux se poursuivent au-delà du nœud d’assemblage évoque la coupure nette d’éléments filant dans l’espace, accentuée par la mise en jaune des sections. Radical de par sa conception minimaliste, ce siège, jamais imité, influencera les recherches de Marcel Breuer, qui créera en 1923 le fauteuil en tasseaux de bois, suivi en 1925 du fauteuil club B3, dans lequel il substituera au bois le tube d’acier. Vers 1928, Rietveld lui-même démontrera sa parfaite maîtrise des matériaux, en donnant une transposition de son siège rouge et bleu en contreplaqué moulé et tube d’acier cintré. Une variante de ce modèle, exécutée par la firme Metz & Co., sera présentée en 1930 au pavillon de Marsan, à Paris, dans le cadre de l’exposition de l’Union des artistes modernes. Le principe de construction utilisé pour le fauteuil rouge et bleu sera décliné d’une manière systématique pour d’autres meubles.
On le retrouve en 1919 dans un buffet, et en 1922 dans l’aménagement du cabinet de consultation du docteur Hartog à Maarssen, avec une suspension constituée de lampes tubes se croisant dans l’espace à 90 degrés qui vient donner la réplique à l’assemblage des tasseaux de bois.
Mais on ne saurait limiter à cette période de l’histoire l’œuvre considérable de Rietveld, qui fut l’un des membres fondateurs des CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne) et dont les réalisations sont aujourd’hui encore une référence pour de nombreux créateurs de par le monde.
Raymond Guidot, Histoire des objets. Chroniques du design industriel, Éditions Hazan, Paris, 2013