L’écriture de ce mémoire a commencé en observant les marges d’une grande ville quelconque. C’est Marseille la ville que j’habite depuis trois ans, mais dans mon regard, il y a un peu de Milan, de Bologne, d’Athènes, de Troyes, de toutes les marges des villes que j’ai habitées, et d’autres que j’ai juste traversées. Dans toutes les zones périphériques de nos villes post-industrielles on peut très bien constater qu’il y a des éléments caractéristiques, qui se répètent comme un leitmotiv, qui constituent des réalités très reconnaissables par leur configuration esthétique et fonctionnelle.
Des espaces qui sont normalement cachés dans la représentation officielle de la ville, souvent considérés comme des vides, des lieux désaffectés.
Des espaces qui semblent être là juste pour être traversés à forte vitesse, d’autres qui sont identifiés que par leur usage. Des espaces de l’hégémonie de la voiture, des autoroutes, des rocades, des échangeurs, des zones commerciales, des zones industrielles, des zones pavillonnaires, et aussi
des friches, des terrains vagues, des bâtiments et infrastructures à l’abandon, des parkings, des enseignes, des cartels autoroutiers, des hangars, des piliers de haute tension, de la végétation spontanée.
Que l’on habite dans ces territoires ou pas, tous ces éléments nous sont familiers, ils sont présents dans les parcours de qui se déplace chaque jour entre maison et boulot, de qui va faire ses courses dans les grandes zones commerciales, mais aussi de qui traverse ces espaces sur la route de vacances. Ces éléments constituent notre territoire, ils forment le paysage contemporain des villes dans lesquelles nous vivons, et donc ils nous façonnent, ils façonnent notre conscience paysagère, que nous le voulions ou pas. Pourtant, il semble que ce type de paysage ne nous appartienne pas, qu’il est une sorte de « terra incognita » qui nous donne une sensation de familiarité et de malaise en même temps.
Moche, banal, aliénant, standardisé, fragmenté, chaotique, anti-urbain, enclavé, etc. C’est difficile de s’y intéresser si on a l’habitude de le définir ainsi. Tous ces jugements sont désormais entrés dans notre perception, et en qualifiant ce type de territoire de « moche » ou d’insignifiant, l’effet est celui d’une réticence à l’explorer, à s’y intéresser, voire même à y opérer un jugement de classe.
C’est contre cette forme de jugement systématique, contre cette forme d’oubli, d’atrophie de la sensibilité paysagère qu’il serait bien de se positionner, trouver le moyen de renverser cette perception, alimenter les débats et les réflexions sur des questions d’ordre esthétique, et donc politique, social, économique.
Les espaces cachés dans la représentation officielle de la ville peuvent, si bien interrogés, dire beaucoup de nous. Ils peuvent nous parler de malaise et de frustration, mais aussi de nos aspirations et de nos rêves.
Les signes d’intérêt vers ce type de territoire se multiplient depuis quelques années, le débat est ouvert, mais il faut continuer à l’alimenter.
Ces pages ne sont que le partage de mes observations, le fruit de mes explorations, de mes recherches, de discussions que j’ai eu à l’école pendant ces deux années. Mais il est surtout un discours ouvert, une invitation pour vous, les lecteurs et les lectrices, à formuler de nouvelles sensibilités paysagères à travers vos propres exercices, vos imaginaires, vos sensibilités. Mais pour aller à la recherche d’une nouvelle sensibilité paysagère il faut d’abord s’approcher à la notion de paysage, la mettre en cause et peut-être essayer de l’élargir, la rendre plus inclusive.