Cassandre THÉVENIER – Dnsep 2025
Le point de départ de cette recherche m’est apparu lors d’une discussion avec ma tante, peu de temps après le décès de mon père. Elle me confia qu’elle parlait tous les matins aux photos encadrées de mon père et de mon grand-père, posées sur son buffet parmi d’autres. Elle échangeait avec elles des conversations des plus banales en leur parlant de la météo, de l’actualité, en leur donnant des nouvelles des membres de la famille ou en leur racontant son programme de la journée. Cela m’étonna de sa part, elle qui n’est ni religieuse ni tournée vers des pratiques spirituelles. En y réfléchissant, j’ai pris conscience que, moi aussi, j’entretenais de nouveaux rapports avec certains objets depuis ce décès. J’observai également ma mère dresser et servir des verres supplémentaires lors des grands événements, ce qu’elle appelle « la part des morts », et ma sœur disposer des objets particuliers dans un coin de son salon. En évoquant ce sujet de manière indirecte avec d’autres personnes, je réalisai que ces usages détournés des objets après un décès étaient une pratique assez répandue, et je fus marquée par la diversité des objets concernés. Je me suis alors demandée si ce procédé consistant à charger nos objets du quotidien d’une présence était un fait récent. Est- ce que notre époque, qui en industrialisant et en uniformisant les objets funéraires, a fini par les vider de leur capacité à porter nos morts ? Avons-nous perdu les rituels qui permettaient une relation symbolique aux objets funéraires ? Ou bien, cette capacité des objets à contenir du symbolique ne s’est-elle jamais limitée aux objets funéraires ? Ces questionnements ont marqué le début de ma recherche. En considérant la diversité des objets présents dans les sépultures et les rituels à travers l’histoire, il m’est apparu que les objets, quelle que soit leur destination première, sont transformables en outils de soin, de croyance, de dialogue ou d’existence. J’ai alors voulu observer et analyser ces procédés au travers de mon regard de jeune designer pour comprendre les multiples fonctions des objets et leurs potentiels détournements. Pour savoir ce qui nous poussent à transformer des objets banals en objets sacrés. Il s’agit ici, à travers l’objet personnel, de questionner notre rapport à l’absence, aussi bien dans les sphères communautaires, individuelles qu’institutionnelles ; en partant toutefois du point de vue de l’intime et du singulier. Pour mener à bien cette recherche, il m’a semblé essentiel d’en définir les contours. Lorsque j’évoquais ce sujet, on me renvoyait souvent à des cultures lointaines ou à des époques révolues1.
Pourtant, ce qui m’animait, c’était de comprendre ces mécanismes dans notre société occidentale contemporaine, profondément matérialiste et hédoniste. Je voulais étudier et parler de pratiques auxquelles je pouvais directement être témoin dans la culture dont je suis issue. Il m’importait aussi d’éviter une analyse biaisée ou incomplète portant sur une culture que je ne connais pas suffisamment et pour laquelle je ne dispose pas des outils nécessaires à sa compréhension.
Notes :- Sentiment partagé par Jeanne Favret Saada et Vinciane Despret dans leurs recherches respectives sur la sorcellerie et les morts.[↑]