Les machines règnent aujourd’hui sur le monde. Omniprésentes dans le domaine du travail comme dans celui des loisirs, elles assistent chacun de nos gestes. Si de rébarbatives et pédantes études techniques expliquent leur fonctionnement, que savons-nous en réalité de leur caractère, de leurs humeurs, de leurs faiblesses ?
Les machines se multiplient bien plus rapidement que les hommes, et presque aussi vite que les insectes les plus prolifiques.
Déjà, entre elles et nous, la relation s’est modifiée. Leur entretien nous fait perdre un temps et une énergie considérables. Un temps et une énergie consacrés à les bichonner ; les nourrir, veiller à leur repos et à leur confort, à s’assurer enfin qu’elles ne manquent de rien.
Bientôt, nous serons leurs esclaves bien-aimés.
Seuls les artistes ont le pouvoir de soustraire l’humanité à ce danger. Il revient aux artistes de renoncer au romantisme poussiéreux du pinceau, de la palette, de la toile et du châssis, pour s’intéresser aux machines. À eux, l’apprentissage de l’anatomie et du langage mécaniques ! Comprendre la vraie nature des machines permet d’en détourner le sens. À eux, l’initiative de créer des œuvres d’art contrariant l’utilisation, la destination, le maniement des machines !
Plus de peintures à l’huile, mais des chalumeaux oxhydriques, réactifs chimiques, chromes, rouilles, colorations par électrolyse, altérations thermiques !
Ni toiles ni châssis, mais des métaux, des plastiques, des caoutchoucs et des résines synthétiques !
Formes, couleurs, mouvements, fracas du monde mécanique, ne seront plus abstraitement décrits, analysés, reproduits, mais combinés harmoniquement.
La machine d’aujourd’hui est un monstre !
La machine doit devenir une œuvre d’art !
À nous de découvrir l’art des machines !
LA MACHINE DOIT DEVENIR UNE ŒUVRE D’ART !
Bruno Munari, 1952.