Il y a tout d’abord une histoire et des faits. Il serait pour moi impensable de traiter d’elle sans évoquer les faits marquants qu’elle a pu occuper durant mon enfance.

Natif d’une double culture, d’un père algérien et d’une mère française, depuis mon jeune âge, jusqu’à l’heure actuelle, ma vie a été bercée par mille et un aller retour entre deux pays séparés par la mer Méditerranée, la France et l’Algérie. Ces moments ont affûté mon sens d’observation et de comparaison tel un jeu des sept erreurs entre les deux pays. Simple curiosité ou simple constat, j’apercevais clairement les nuances des deux rives sans pour autant comprendre leurs différences.

Pour mes frères et sœurs, l’été annonçait le moment tant attendu pour rejoindre le pays.
Ce rituel estival à Alger était le moment de retrouver les nôtres sans exception dont nous avions été privés durant l’année. Grands-parents, tantes, oncles, cousins, cousines, voisins, voisines ; je me souviens que cet instant des retrouvailles était caractérisé par une joie si intense.

Il était tout aussi bon de redécouvrir la sonorité chantonnante de la langue arabe. Il était tout aussi bon de humer les odeurs savoureuses des plats traditionnels préparés par mes tantes. Il était tout aussi bon d’admirer, stationné, le menton sur le fer forgé du balcon, le relief de la baie d’Alger. Il était tout aussi bon et étrange de se refamiliariser à l’adhan résonnant dans les rues de la capitale. Cependant, je ne comprenais toujours pas comment il était possible face à l’immensité de la Méditerranée de voir si rarement une goutte d’eau couler des robinets ici ?

En effet entre Cannes et Alger, ces deux villes partagent distinctement la même quantité de ce liquide, approximativement de 3765000 km cubes. L’eau est présente partout autour de nous en abondance, mais pourquoi y aurait-il de l’eau là-bas, et quasiment pas une goutte, ici ? Quelle logique suivons-nous ? Pourquoi ? Le terme de pénurie était pour moi inconnu, je ne comprenais pas forcément la situation, mais cela se présentait plutôt comme la règle d’un jeu où nous étions obligés d’adapter nos gestes et nos habitudes au quotidien. Après une semaine cela devenait une normalité. Que ce soit par la situation, la culture ou l’idéologie inculquée dans ma famille, cette période m’a fortement influencé pour en faire par cette présente, l’objet de toutes mes attentions.

L’attente

Ce son a marqué ma jeunesse et probablement des millions d’algériens durant les années 90. Ce son a, sans aucun doute, était le plus attendu de tous ; ces nuits à dormir, l’oreille tendue par nos aînés ; ces nuits à veiller jusqu’au petit matin pour nous les plus jeunes. Nous n’avions que le choix de patienter et de garder l’espoir d’entendre sa mélodie.

Nos nuits dans la maison familiale entre cousins et cousines étaient rythmées à jouer, à discuter, dans l’attente de l’accueillir. Non, nous n’attendions ni éclipse lunaire, ni
feu d’artifice, mais un évènement tout aussi extraordinaire. Nous attendions, en effet, si précieusement la mélodie des premières gouttes d’eau ruisseler de nos robinets. Quand son écho résonnait dans la salle d’eau, nous nous empressions d’annoncer d’un air jovial la bonne nouvelle.

« ‘Ja l’ma ! Ja l’ma »’

Une joie de la retrouver, de la toucher, de l’entendre, de contempler ce maigre filet d’eau remplir ces nombreux contenants voués à être notre source pour les prochains jours. Bouteille de limonade vide, casserole, petite bassine, je les remplissais directement du robinet. Pour les contenants plus volumineux tels que les grands fûts bleu roi de plus de 70 litres, le tuyau était mon meilleur ami.

Celui-ci étant souple, je réussissais à l’emboîter au robinet et à le fixer à l’aide d’un fil de fer pour éviter toute fuite. Une fois raccordé, j’aimais visualiser le parcours de l’eau dans la transparence du tuyau après avoir lâché les vannes. Mon œil par intermittence surveillait la montée du niveau d’eau pour éviter tout débordement. Mais l’attente était longue. Très longue parfois. ll suffisait de voir du balcon tous ces foyers scintiller dans la nuit pour comprendre la situation.

Alger était debout afin de stocker ce précieux liquide.

Jury

  • Tiphaine KAZI-TANI, présidente, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; designer et chercheuse associée au CodesignLab de Telecom Paris-Tech et à la Cité du design de Saint-Étienne, associée au commissariat de la Biennale du design de Saint-Étienne, responsable du DSRD à I’ESADSE.
  • Mathieu PEYROULET-GHILINI, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; designer
  • Delphine COINDET, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; artiste.
  • Yannick VERNET, personnalité qualifiée extérieure à l’établissement ; responsable des projets numériques à l’ENSP.
  • Frédérique ENTRIALGO, théoricienne, docteur et enseignante à l’ESADMM.

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